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à peine comprendre aujourd’hui de semblables infractions à la foi publique. Terray, qu’on en demeure bien convaincu, étonna moins son siècle qu’il n’indigne aujourd’hui le nôtre. Lorsque le gouvernement supprimait quelques quartiers aux rentiers ou qu’il reprenait aux créanciers de l’état des profits réputés trop considérables, il faisait dans les idées de l’ancien régime une chose dure plutôt qu’une chose inique, et l’humanité y semblait plus intéressée que la justice. Pour que les contrats financiers comme les traités internationaux conquissent en Europe toute leur valeur morale, il a fallu que l’opinion publique pesât sur tous les gouvernemens, soit par une participation directe des peuples à leurs propres affaires, soit tout au moins par les exigences du crédit, qui placent partout le pouvoir dans l’étroite dépendance des intérêts privés. A partir de ce jour-là seulement, la guerre est devenue difficile et la banqueroute impossible. Terray apparut donc dans son temps comme un ministre hardi plutôt que comme un ministre prévaricateur, et son esprit de résolution en avait fait par avance l’associé naturel du chancelier Maupeou pour un coup d’état dès lors silencieusement médité dans le salon de la comtesse Du Barry.

Un personnage plus considérable complétait le triumvirat tout prêt à succéder au pouvoir chancelant de MM. de Choiseul. Le duc d’Aiguillon prétendait avoir recueilli comme son plus bel héritage les doctrines et les exemples du cardinal de Richelieu, son grand-oncle maternel, et c’était avec dédain qu’il opposait la fière attitude du ministre de Louis XIII à celle du ministre de Louis XV. Il se présentait comme le champion le plus décidé de la prérogative royale, représentée par la comtesse Du Barry. La lutte personnelle qu’il soutenait contre la magistrature, à laquelle il disputait alors son honneur et sa tête, le lia étroitement avec la favorite, et le conduisit à concerter avec elle la solution de la plus formidable question du temps. Ce fut donc avec le concours passionné et l’assistance journalière de Mme Du Barry que commença en 1770 la campagne ouverte contre les parlemens, afin de rendre à la royauté la plénitude de ses droits en la faisant respecter dans la plénitude de ses vices.

Personne n’ignore que la lutte du duc d’Aiguillon contre la puissance parlementaire avait commencé en Bretagne. Ce seigneur y avait apporté, comme presque tous les gouverneurs et commandans envoyés par la cour depuis Louis XIV, des idées générales inapplicables à la situation particulière de cette province et des allures personnelles antipathiques à l’esprit de la population. La Bretagne se trouvait en effet placée vis-à-vis de la monarchie française dans un état très exceptionnel, et que la plus insigne mauvaise foi ne pouvait méconnaître. Seule entre les provinces du royaume, elle invoquait