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celle des Yuracarès. Ces Indiens, dans leur étrange orgueil, se croient les premiers du monde. Aussi cruels pour eux que pour les autres, ils se couvrent de blessures dans leurs cérémonies superstitieuses. Ils immolent de sang-froid une partie de leurs enfans pour s’épargner la peine de les élever. Ils se battent souvent en duel à coups de flèches; ils connaissent le suicide. Ennemis de tout ce qui pourrait diminuer leur indépendance, ils ne forment point une société; chaque famille vit isolée, et encore dans la famille on ne reconnaît aucune subordination. L’enfant même vit à sa guise : jeune ou vieux, un Yuracarès ne doit obéir à personne. La peuplade des Guarayos forme avec celle-ci un contraste frappant. Avant les voyages de d’Orbigny, elle était inconnue aux géographes; le pays qu’elle habite était laissé en blanc sur les cartes. Le récit que le hardi naturaliste nous a donné de son séjour chez les Guarayos est empreint d’un charme exquis; il semble que ce soit une description de l’âge d’or. Tandis que la plupart des sauvages sont entachés de vices honteux, ces Indiens ont un caractère doux, une probité incorruptible, une âme fière. Ils poussent la délicatesse jusqu’au scrupule. Chose étrange pour des sauvages, ils ont l’adultère en horreur. D’Orbigny voulut emmener à Paris un enfant guarayos pour présenter un type de cette peuplade privilégiée. Un jour le cacique avec sa famille, composée de soixante personnes, vint le trouver. Ce patriarche à figure vénérable lui amenait l’enfant demandé. Il lui dit d’une voix solennelle ces belles paroles : « Cet enfant que je t’amène est mon petit-fils; il se nomme Mbucca ori (Ris joyeux). Je te le donne, parce qu’il a perdu son père et que je te crois digne de le remplacer. Regarde-le comme ton fils et fais-en un homme; surtout qu’il ne connaisse pas le vol, et qu’il soit toujours digne d’être Guarayos. » Et quand d’Orbigny demanda au cacique ce qu’il voulait en échange de son petit-fils : « Donne-moi, dit-il, une serpe, donne une hache à sa mère, un couteau à son frère; ce sont les choses qui nous seront le plus utiles si un jour, pour fuir l’esclavage, il faut regagner les forêts d’où nous sommes sortis. »

Pendant que d’Orbigny étudiait les indigènes des pays des missions, il menait de front tous ses travaux. Il complétait sa carte de Bolivie, dessinait le cours de rivières navigables dans une étendue de plus de deux cents lieues, et poursuivait ses recherches de géologie et d’histoire naturelle. Il termina ses voyages en Amérique par la visite du Bas-Pérou. Il s’embarqua à Lima pour la France; c’est en 1833 qu’il remit le pied sur le sol natal.

D’après l’avis de l’Académie des sciences, le gouvernement ordonna la publication des voyages de d’Orbigny. Cette publication fut dédiée au roi Louis-Philippe et complétée avec l’aide des naturalistes les plus distingués: mais la plus grande part des travaux