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rivière, d’un port, d’une rade, en passant rapidement, et avec des pertes insignifiantes, sous les batteries qui y seront accumulées, et le passage une fois forcé, si une sage prévoyance n’a préparé contre l’ennemi des moyens de défense intérieure, les maux qu’il fera seront incalculables. Cependant tout cela ne serait que de la guerre navale, où ne seraient employés que des moyens purement maritimes. Le rôle de l’armée anglaise, si elle était engagée, se bornerait à tenir garnison, sous la protection du canon de ses vaisseaux, dans quelque position fortifiée, quelque Kinburn, dont l’occupation aurait été jugée nécessaire. Elle ne pourrait agir par elle-même et jouer un rôle important que sur un théâtre étroit, isolé et proportionné à ses moyens d’action. Si c’était avec la France, par exemple, que l’Angleterre fût en guerre, peut-être se risquerait-elle à choisir l’Algérie pour champ de bataille, et à tenter de nous arracher la seule de nos conquêtes que nous ayons gardée depuis soixante ans. Montées sur une escadre que nous supposons pour un moment maîtresse incontestée de la mer, ses troupes iraient peut-être attaquer notre colonie, séparée des secours de la métropole. Une telle entreprise, nous croyons pouvoir le dire sans trop d’amour-propre national, aurait peu de chances de succès devant une armée accoutumée à vaincre, énergiquement commandée, appuyée sur toutes les ressources que notre longue occupation a développées.

Mais c’est le possible, et non le probable, que cette guerre de l’Angleterre seule à seule avec une des grandes puissances militaires de l’Europe. Ce qui est plus vraisemblable comme plus conforme à l’expérience du passé, c’est qu’elle n’entrerait en lutte qu’après s’être assuré sur le continent des alliés au service desquels elle mettrait ses vaisseaux, et dont ses propres soldats deviendraient alors les redoutables auxiliaires. Il ne s’agirait plus dans ce cas de rapides incursions, ni de ravages maritimes, ni d’expéditions contre des colonies; le danger serait plus sérieux, et pendant que les alliés de l’Angleterre attireraient à la frontière toutes les forces ennemies, on verrait son armée arriver par mer pour tenter à l’improviste une de ces entreprises décisives dont nous parlions tout à l’heure. Ce ne serait pas pour la France que pareille chose serait à craindre avec l’énergie guerrière de sa population et les défenses dont la sage prévoyance de son gouvernement a su en 1840 entourer la capitale; mais en serait-il ainsi de toutes les capitales de l’Europe?

On le voit, plus nous avançons et plus le rôle de la force navale s’agrandit, plus l’action des flottes paraît devoir être considérable dans les luttes dont notre globe sera le théâtre. Il y a là matière à réfléchir pour tout le monde, grands et petits états, nations mari-