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calculs soumis aux caprices des vents, mais aussi, mais surtout, parce que la mer entière lui était hostile, nos flottes, désorganisées par la révolution et partout vaincues, ayant dû céder l’empire des flots au pavillon britannique. Napoléon, il est vrai, avait su tenter l’expédition d’Egypte et se dérober aux croisières anglaises; mais l’expédition d’Egypte, audacieux calcul d’une ambition impatiente, ne se liait à aucune opération de guerre sur le continent : elle ne pouvait servir, et ne servit en effet qu’à augmenter la réputation du général Bonaparte, et les troupes qui la composaient, enfermées dans une impasse, puis abandonnées par leur chef, ne tardèrent pas à tomber, avec les vaisseaux qui les avaient apportées, aux mains de l’Angleterre.

Ceci nous amène tout naturellement à parler de cette puissance, dont nous n’avons rien dit jusqu’ici, et à examiner la situation qui peut lui être faite par l’alliance des forces de terre et de mer dans les guerres continentales.

Nous disions tout à l’heure, à propos de la Russie, que si elle nous était ennemie et qu’elle tînt la mer avec la grande flotte à vapeur qu’elle est en train de créer, nos expéditions maritimes deviendraient impossibles, ou tout au moins chanceuses, tant qu’une des deux marines n’aurait pas pris un ascendant décidé sur l’autre. Ce qui est vrai de la Russie l’est à bien plus forte raison de l’Angleterre, et il est certain qu’aucune expédition navale ne saurait se mettre en marche aujourd’hui sans sa permission avouée ou tacite. Nul doute que le rôle de plus en plus considérable que les flottes sont appelées à jouer dans les guerres continentales n’ajoute singulièrement à l’importance de la marine anglaise; mais ici, comme il arrive souvent, la question a deux faces, et elle peut se retourner. S’il est vrai que le système, chaque jour pratiqué davantage, d’employer aux mêmes opérations la marine et l’armée réunies a pour résultat de faire sentir sur terre la puissance des flottes, il a pour résultat aussi de faire sentir sur mer la puissance des armées. L’Angleterre, nul ne l’ignore, a des ressources immenses, et de toute nature, pour lutter avec avantage sur mer; elle a dans le personnel, comme dans le matériel, la supériorité du nombre; elle a le génie de sa population, née pour la mer, et la longue habitude de vaincre sur un élément qu’elle regarde comme le sien; elle a les incomparables richesses que lui donnent son commerce et son industrie; elle a par-dessus tout l’énergie patriotique d’un peuple resté toujours libre. Mais l’emploi de la vapeur fera perdre de plus en plus aux guerres maritimes leur caractère spécialement naval pour leur donner le caractère militaire, et le jour ne saurait être éloigné où l’on verra s’établir entre les marines des différens peuples une sorte