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troupes ne peuvent se dérober aux regards comme les mouvemens d’une escadre, et il sera toujours facile, ainsi que nous l’avons indiqué, d’opérer le débarquement à une telle distance que ce rassemblement soit inutile. En supposera-t-on plusieurs au lieu d’un seul ? Il faudrait pour cela qu’il y eût en Europe des états assez puissans pour détacher de leur armée principale un nombre indéfini de corps partiels, capables de battre cinquante mille Français. Hypothèse inadmissible !

Nous avons donc le droit de dire que notre armée expéditionnaire débarquera librement, sans crainte d’être troublée, et surprendra l’ennemi comme elle l’a surpris en Crimée. On nous objectera peut-être les chemins de fer et les rapides moyens de défense qu’ils peuvent fournir contre une attaque de ce genre. Nous demandons à notre tour si ces chemins, si bien organisés qu’on les suppose, sont en état d’amener hommes, chevaux et canons avec la vitesse d’une escadre qui jette quinze mille hommes à l’heure sur la côte ennemie ; nous demandons quelles ressources ils offrent contre l’écrasante masse de feux dont une flotte peut couvrir la plage. Continuant à nous fonder sur l’expérience faite en Crimée, nous voyons notre armée, deux jours après qu’elle a pris terre, se mettre en marche appuyée sur la base d’opérations la plus solide et la plus sûre, la mer, qui lui apporte tous ses approvisionnemens, toutes ses munitions, tous ses renforts, avec une célérité, une exactitude impossibles à atteindre sur terre. Nous la voyons pénétrer au cœur du pays ennemi, en arrière de toutes ces chaînes de forteresses qui, au nord et au sud, ont été élevées contre nous depuis les malheurs attirés sur notre patrie par le premier empire, et à travers ce réseau de chemins de fer combinés autant dans une pensée hostile à la France que dans une pensée de libre et pacifique communication. Ne serait-ce pas quelque chose de bien nouveau à la guerre qu’une trouée aussi menaçante faite à travers le territoire ennemi, alors que les grandes armées seraient en présence aux frontières ? Qu’on se figure l’effet de ce corps arrivant sur les communications de nos adversaires, marchant sur leur capitale si elle était accessible, ou se jetant au milieu de populations mal affectionnées pour les soulever. Ou nous nous trompons, ou les hasards de la guerre seraient singulièrement multipliés pour une puissance exposée à de pareils coups. Elle serait toujours et en tout cas obligée d’abandonner une partie de ses provinces aux ravages de l’ennemi, dont la plus mauvaise chance serait de se retirer sous le canon de ses vaisseaux, mais non sans avoir fait auparavant un mal immense. Si, pour rendre toute notre pensée, on nous permettait une comparaison qui nous semble assez juste dans sa bizarrerie, nous dirions qu’une