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avant sa mise à l’eau, était trop lente pour qu’on pût, au début d’une guerre, lancer les bâtimens de la réserve et leur donner leurs machines en temps utile, on a été conduit à renoncer au principe de la réserve en chantier, et à mettre à l’eau la plus grande partie des navires qui la composaient. De là cet accroissement rapide des forces disponibles de la marine française dont nous parlions tout à l’heure, et qui s’est accompli en grande partie pendant l’expédition de Crimée. L’Europe voyait alors nos progrès sans en prendre ombrage, et elle ignorait le secret de tous ces armemens nouveaux à si bon marché. En cela, comme en bien d’autres choses, le gouvernement actuel, servi par les événemens, recueillait les fruits de la prévoyance de ceux qui l’avaient devancé.

Dans cette flotte de réserve, les vaisseaux, en recevant leurs machines, sont restés vaisseaux de guerre ; mais il en a été autrement des frégates. Leurs formes étant impropres aux grandes vitesses demandées aujourd’hui aux frégates à vapeur, elles ont été pourvues d’appareils d’une force modérée, et changées en vastes transports capables de recevoir des masses d’hommes considérables, de les porter à Civita-Vecchia, sur les côtes d’Afrique, partout enfin où, en paix comme en guerre, le service de l’état peut l’exiger. En même temps des fonds étaient consacrés à construire des vaisseaux et des frégates spécialement destinés à atteindre de grandes vitesses, aussi bien qu’une flottille de corvettes de charge à hélice, pour le transport des hommes, des chevaux et du matériel. Une partie de ces derniers navires est déjà employée au service de nos garnisons coloniales et à notre expédition de Cochinchine. Nous ne voulons pas dire que toutes ces transformations et toutes ces constructions nouvelles soient terminées; mais il y en a assez de fait pour qu’il soit permis d’affirmer que notre matériel fournirait aisément aujourd’hui plus du double de vaisseaux et plus du triple de frégates, corvettes et transports, tous à vapeur, que nous n’en avions en Crimée. Qu’on joigne à cela les paquebots de nos diverses lignes, et tout le monde tombera d’accord avec nous que le transport par mer d’une armée de 50,000 hommes serait à cette heure une chose très simple et très facile pour la France, sans qu’on fût même obligé de traîner à la remorque un seul navire à voiles. Encore un peu de temps, et un résultat bien autrement considérable aura été atteint : nous aurons alors des moyens suffisans pour porter notre armée expéditionnaire sans y employer nos vaisseaux, qui seront ainsi rendus à leur rôle naturel d’escorte, ou qui pourront être affectés ailleurs à toute autre destination que la guerre leur commandera.

Vient maintenant la question du personnel. Si nous ne craignions de fatiguer le lecteur avec des chiffres, nous démontrerions avec