Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/775

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenir la lutte avec la voie maritime. Le moindre accident peut interrompre la marche d’un chemin de fer, qui ne porte que peu à la fois, et tire son principal avantage de la continuité de ses mouvemens. Sur mer, au contraire, les transports s’opèrent par masses, et l’accident qui arrive à un navire n’est qu’un fait isolé et presque imperceptible. Mais la lutte n’eut pas à s’établir entre le chemin de fer et la navigation à la vapeur. Aux ressources sans nombre que la mer nous procurait, les Russes n’avaient à opposer qu’un seul avantage : c’est qu’ils étaient chez eux, et qu’ils trouvaient dans Sébastopol même tout le matériel d’un immense arsenal pour préparer leurs moyens de défense. A part cela, tout était contre eux; condamnés à perdre plus d’hommes que nous sous le redoutable effet de nos feux concentriques, donnant moins de soin que nous à leurs blessés et à leurs malades, séparés par d’immenses distances des renforts qu’ils avaient besoin de tirer du cœur même de leur empire, il était impossible qu’ils ne se trouvassent pas en nombre inférieur devant nos bataillons chaque jour renouvelés. Et nous ne disons rien de tout ce que ces renforts, appelés de si loin au secours de Sébastopol, eurent à souffrir de l’état affreux des routes et de l’âpreté du climat, tandis que la mer amenait aux alliés des troupes qui n’avaient rien perdu de leur effectif, et qui pouvaient faire le service de la tranchée ou monter à l’assaut le jour même de leur arrivée.

Ce n’était pas assez pour nos flottes d’alimenter nos armées avec une rapidité et une sûreté si admirables. On va les voir, profitant de la configuration géographique de la Crimée, intervenir dans la lutte d’une manière plus directe et plus immédiate, en coupant les vivres à l’ennemi.

Les Russes avaient trois routes pour aller de l’intérieur de l’empire à Sébastopol. L’une, par Pérékop, traverse dans son long parcours des déserts où l’on souffre horriblement de la chaleur et de la soif pendant l’été, des rigueurs extrêmes du froid pendant l’hiver; la seconde, par le pont de Tchongar et la Mer-Putride, offre les mêmes inconvéniens; la troisième enfin était celle de la mer d’Azof, et c’était de beaucoup la plus importante et la plus fréquentée. Par la mer d’Azof, sur laquelle ils avaient une flottille considérable, et par les fleuves qui s’y jettent, les Russes recueillaient quelques-uns de ces avantages des voies maritimes dont nous parlions tout à l’heure. Les marines alliées se chargèrent de les leur enlever. Pénétrant dans cette mer, elles détruisirent les dépôts de vivres accumulés sur ses rives aussi bien que la flottille qui servait à les transporter, et interrompirent non-seulement les communications maritimes, mais celles mêmes qui auraient pu se continuer sur