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en armes sur le rivage, tant ils y étaient descendus avec célérité. Il est probable aussi que le prince Menchikof, malgré son caractère résolu, craignit d’exposer ses soldats à l’artillerie des flottes, dont les feux, sur une plage au loin découverte, eussent été très meurtriers. Ce motif de prudence et d’autres peut-être qui nous échappent déterminèrent les Russes à laisser le débarquement s’opérer sans coup férir. Une fois les deux armées mises à terre, leur supériorité numérique, l’excellence de leur composition, la haute renommée des chefs et des soldats faisaient une loi au général ennemi de ne rien risquer contre elles, et de chercher dans la connaissance qu’il avait du pays des chances qui lui fussent favorables. De là le choix fait par Menchikof de la forte position de l’Alma pour y recevoir l’attaque des alliés.

Il est généralement reconnu aujourd’hui que le succès de la bataille de l’Alma fut dû au mouvement par lequel le général Bosquet tourna la gauche de l’armée russe. Sans rien ôter de l’immense part de gloire qui appartient au courage et à toutes les qualités guerrières des troupes alliées, le grand fait, le fait décisif de la journée fut l’arrivée de l’artillerie française sur le flanc gauche des Russes, qui jusque-là résistaient pied à pied à nos colonnes, en même temps que le feu de leurs canons menaçait d’écraser les divisions anglaises l’une après l’autre sur les plateaux inclinés en forme de glacis qu’elles étaient chargées d’enlever. On a reproché aux Russes d’avoir laissé sans défense ce côté de leur position; on leur a reproché de n’avoir pas soupçonné tout ce que pouvaient faire l’intrépidité et l’élan de nos artilleurs se lançant avec leurs pièces à travers des ravins qui semblaient impraticables. Il eût été plus juste d’observer que toutes les défenses élevées sur ce point se fussent trouvées sous le canon des escadres, et que les Russes, avec toute leur fermeté, n’eussent pu résister au feu de sept ou huit navires à vapeur qui, avec leurs gros obus lancés à des portées extraordinaires, balayaient tout le plateau : important service que, dans la journée de l’Alma, les armées de terre durent à la coopération de la marine; service ingrat toutefois, car, rendu sans danger, il ne rapportait pas de gloire! Ce n’est point un motif pour qu’il soit oublié de ceux qui demandent aux événemens d’utiles leçons. Ajoutons qu’il ne fut pas le seul rendu ce jour-là par les flottes; elles approvisionnèrent l’armée, elles la débarrassèrent de ses blessés et de ses malades, puis elles accompagnèrent sa marche le long de la mer, continuant à lui prêter avec efficacité leur appui moral et matériel, en même temps qu’elles détachaient quelques-uns de leurs navires pour aller chercher à Varna des renforts.

Il n’est pas dans notre sujet de suivre l’armée victorieuse dans