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de plus que nous une brigade de cavalerie. 57 navires de commerce à voiles remorqués par 35 grands steamers également de commerce étaient consacrés au transport de leur armée proprement dite. Leur intendance emmenait en outre un nombre considérable de transports à voiles et à vapeur.

La flotte de guerre ne portait rien qui appartînt au personnel ou au matériel de l’armée.

Enfin 7,000 Turcs, sans artillerie, étaient embarqués sur des vaisseaux de leur escadre que remorquaient des frégates à vapeur alliées.

C’étaient donc de 60 à 70,000 combattans que cet immense armement naval allait jeter d’un seul coup sur la côte ennemie.

La navigation fut lente. On mit une semaine à parcourir la distance du golfe de Varna à la côte de Crimée : la flotte comptait beaucoup de navires à voiles lents dans leurs mouvemens, embarrassans à prendre à la remorque, lourds à traîner; mais il est bon de remarquer que cette navigation d’une semaine s’accomplit sans qu’aucun accident, aucune erreur, aucun désordre vînt troubler la marche de la nouvelle armada. Aujourd’hui, après les progrès faits depuis quatre ans, avec le vaste et rapide développement qu’a pris la marine à vapeur, on n’emploierait à un pareil service que des bâtimens pourvus de ce moteur ou au moins de puissans remorqueurs; le trajet alors se ferait en quarante-huit heures, ou dans le même espace de temps on irait trois fois plus loin. Arrivées au point qui leur avait été désigné, à quelques lieues au sud d’Eupatoria, les flottes jetèrent l’ancre dans un ordre parfait, et le débarquement se fit avec une précision et une célérité sans exemple. En moins d’une heure et demie, la première division française et son artillerie furent mises à terre. De huit heures du matin à midi, c’étaient trois divisions et dix-huit bouches à feu qui avaient été jetées sur le sol ennemi. Le soir, ces trois divisions avaient reçu leurs bagages, leurs chevaux, et n’avaient pas moins de cinquante-neuf pièces attelées. Les faibles détachemens de cavalerie attachés à l’expédition, le matériel du génie et enfin quatre jours de vivres pour toute l’armée étaient aussi débarqués. On avait ainsi, du matin au soir, mis à terre une armée complète, pourvue de tous ses moyens d’action. Pour qui sait le prix de chaque minute dans une opération de ce genre, exposée à tout ce que la mer et l’ennemi peuvent susciter d’obstacles, pour qui se représente l’extrême complication de tous les détails de l’immense machine qu’il y avait à mettre en mouvement, ce résultat, l’ordre et la célérité avec lesquels il fut obtenu attestent un véritable chef-d’œuvre d’organisation. Jamais, on peut le dire, le génie guerrier de notre nation, jamais la perfection des