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un travail abrutissant de neuf ou dix heures par jour. Il y a donc une grande économie de temps et de patience pour le professeur et les élèves qu’il dirige à les réunir dans une seule leçon que tous pourront exécuter simultanément, après avoir pris une connaissance élémentaire du mécanisme de l’instrument qu’il aura choisi. Les élèves joueront tous ensemble d’abord à l’unisson et puis à différentes parties, de manière à contracter l’habitude d’entendre les effets d’harmonie sans perdre la trace du rôle particulier qui leur est assigné. Des expériences de la méthode de M. Dupart ont été faites par les chefs de musique de la garde sous la surveillance éclairée de M. Le lieutenant-général Mellinet, qui a le droit d’être difficile en fait de bonne exécution. Ces expériences ont été favorables aux principes émis par M. Dupart, dont la méthode, formée de quatre cahiers de cent dix leçons, nous paraît destinée à atteindre le but d’utilité que s’est proposé l’auteur.

L’art musical et particulièrement la musique religieuse viennent de faire une perte douloureuse par la mort de M. Boely, artiste sérieux et probe, organiste d’un style sévère, qui avait conservé intacte la tradition de l’école de Sébastien Bach. Fils d’un professeur d’harmonie qui était resté aussi l’un des derniers défenseurs du système de Rameau, M. Boely, qui avait reçu des leçons de piano de Mme de Montgerault, se familiarisa de très bonne heure avec les œuvres des vieux maîtres tels que Frescobaldi, Couperin. Handel, et surtout Sébastien Bach, qui était le dieu qu’adorait son intelligence. D’un caractère tenace et un peu bizarre, M. Boely avait résisté à toutes les innovations qui se sont produites dans la musique religieuse depuis un demi-siècle. Voué tout entier et presque exclusivement au culte de Bach, dont le portrait ornait seul les parois dégarnies de sa pauvre demeure, M. Boely était un organiste d’un style savant, où dominaient les procédés dialectiques de la fugue et de l’imitation. Ce n’est pas le moment d’examiner si M. Boely n’avait pas exagéré un peu l’application de principes excellens, et si la résistance qu’il a apportée aux modifications exigées par le goût des nouvelles générations était toujours bien raisonnable. Vivant à l’écart et profondément pénétré de la sainteté, je dis le mot, de sa mission d’artiste, M. Boely est resté inébranlable dans sa foi et dans l’idéal qu’il s’était formé d’un organiste classique. Il est mort le 27 décembre 1858, âgé de soixante-quatorze ans, misérable, abandonné du clergé qu’il avait servi toute sa vie. Oh! que les artistes qui dépendent de l’église sont à plaindre !

Il y avait plusieurs heures que M. Boely gisait mourant sans proférer un mot, lorsqu’un ami vint savoir de ses nouvelles. C’était M. Sauzay, un artiste des plus honorables, le gendre de Baillot. M. Sauzay interpella à haute voix le moribond. — C’est moi, Sauzay... de la Société des Concerts! — En quel ton? répondit le vieil organiste en qui survivait une dernière étincelle de l’art. — En ut, répliqua M. Sauzay pour suivre la pensée expirante de son ami. — Bon... et les basses? Et le pauvre Boely rendit le dernier soupir.


P. SCUDO.


V. DE MARS.