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frappée, et maintenant des centaines de journaux hebdomadaires dont les exemplaires se distribuent par millions, répandent les plus utiles informations et les moyens d’instruction les plus féconds et les plus rapides au sein des classes laborieuses. Aujourd’hui que veut M. Bright ? Il veut que les intérêts, les besoins et les droits de tous ses concitoyens soient assurés d’avoir un prompt et efficace retentissement au sein de la représentation nationale ; il veut que le peuple qui souffre dans son travail immédiat de la destruction de capitaux qu’entraînent les guerres si légèrement entreprises par d’imprévoyans politiques, que le pauvre qui supporte le poids des impôts que le passif de ces guerres lègue à la postérité aient le pouvoir d’arrêter dans ces entreprises insensées un gouvernement dilapidateur du sang et de la fortune du pays. « Vous vous vantez d’avoir de nobles ancêtres, s’est-il écrié en finissant, vous vous glorifiez d’avoir eu des pères qui ont conquis la liberté ! Levez-vous donc à ma voix, et venez revendiquer votre héritage. » Ainsi parle à Rochdale M. Bright, l’orateur franc, simple, sensé et populaire. Et qui sait quel langage tient en ce moment son rival en éloquence, l’orateur lettré, subtil, ingénieux, qui a eu la fantaisie d’être pendant quelques jours lord haut-commissaire des Iles-Ioniennes et d’ouvrir un parlement grec, M. Gladstone ? Car l’Angleterre a, elle aussi, sa question lombarde en miniature à l’entrée de l’Adriatique. Les Ioniens protestent contre les traités de Vienne, qui leur ont donné l’empire britannique pour protecteurs ; ils veulent être annexés au royaume de Grèce, et demandent, eux aussi, un congrès européen. Espérons que le plus grand helléniste du parlement anglais aura su charmer et pacifier ces ambitieux Ioniens, et qu’il ne tardera point à venir prendre sa place à la chambre des communes, où lui seul peut dignement combattre les exagérations de M. Bright.

Le Nouveau-Monde en a fini depuis longtemps avec ses luttes de l’indépendance : il possède même dans la plus vivace et la plus puissante de ses républiques ces institutions démocratiques qui font envie à M. Bright. En est-il plus sage et plus moral ? Ce n’est pas ce que nous apprennent les courriers d’Amérique. Au contraire, il semble que le gouvernement de la multitude, le mob-gorvernment, tende à oblitérer de jour en jour davantage le sens moral au sein des politiques américains. L’esclavage et le flibustiérisme sont les deux tristes attributs de la démocratie américaine. On sait que la vieille démocratie, celle que représente le président Buchanan, et la jeune démocratie, celle qui a pour chef M. Douglas, sacrifient également le principe de la liberté humaine, le principe de la souveraineté populaire. Il n’y a pas de droit naturel pour M. Douglas, il vient de le déclarer dans un récent discours, qui soit supérieur au droit qu’a un état à esclaves de maintenir l’esclavage tant que cela lui plaira. À côté de déclarations semblables, placez cette proposition faite au congrès avec l’approbation de M. Buchanan, de voter une somme destinée à l’achat de l’île de Cuba, que les Espagnols ne veulent pas plus vendre que se laisser prendre, et au spectacle de ces excès de la jeune république faites un retour sur notre vieille Europe : notre moralité politique a-t-elle rien à envier à celle de l’Amérique ? e. forcade.