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n’est pas seulement l’universelle substance et les éternelles lois du monde qu’il adore; non, c’est chaque partie de la matière prise isolément, chaque molécule animée, chaque fonction naturelle. Il reproche à M. Reynaud d’adorer les étoiles; mais il fait beaucoup mieux : il adore sous toutes ses formes le non-moi qui le nourrit, il adore la respiration, il adore la digestion, il adore la génération, et cela doublement, dans la fonction par laquelle la vie s’entretient et s’exerce en lui, et dans l’organe par lequel la fonction s’accomplit. Voilà la portée de cet esprit qui prend envers autrui des allures si hautaines! Il se moque du circulus, et il nous ramène à la métaphysique des tribus sauvages, aux cultes équivoques de l’Egypte et aux religions de Babylone!

Je n’ennuierai pas le lecteur des théories physiologiques de M. Enfantin; on a pu s’apercevoir que la science de M. Enfantin brave dans ses mots, sinon l’honnêteté, au moins toute pudeur bête (sic). Lisez, si vous en avez le courage, cette longue lettre où l’honnête docteur Guépin est si malmené pour avoir affirmé, en sa qualité de phrénologue, la prédominance du cerveau sur les autres organes humains. Vous y verrez qu’il est temps enfin de faire cesser la guerre entre le pape, représenté par le cerveau, et l’empereur, représenté par le cervelet : ce sont deux puissances ennemies qui doivent être réunies par l’amour. Cette union serait facile, si on rendait au tronc la justice qui lui est due, et que jusqu’à présent on lui a toujours refusée; mais le temps approche où il sera enfin désubalternisé (un joli mot!). Une trinité sainte existe dans l’homme : le cerveau, siège et laboratoire de la pensée; l’organe de la génération, siège du fait; la moelle épinière, qui participe de l’un et de l’autre, et les réunit par les liens d’une amoureuse sympathie. Sachez aussi que l’âme humaine a été créée androgyne, c’est-à-dire mâle et femelle, et que cette divine harmonie est troublée depuis longtemps par la querelle du cerveau, représentant le sexe mâle, et du cervelet, représentant le sexe femelle. Par là s’explique aussi le divorce qui a trop longtemps duré entre l’homme, qui raisonne pédantesquement par le cerveau, et la femme, qui crie sensuellement par le cervelet... Vous en avez assez, n’est-il pas vrai? Je m’arrête.

Ces remarquables démonstrations scientifiques, qui ne brillent pas précisément par la lumière, ne m’ont prouvé qu’une seule chose: c’est que M. Enfantin était fort ingrat envers le cerveau. C’est par mon cerveau que je l’ai compris, et Dieu sait quelle complaisance il a déployée : il est vrai qu’à la fin il a trouvé une récompense inespérée dans l’incroyable lettre adressée à M. Charles Duveyrier. Ces dissertations en effet sont couronnées par l’exposition des idées de M. Enfantin sur la vie éternelle, idées peu neuves, mais en revanche