Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/712

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une impossibilité et une obligation d’illégalité. Le traité de Milan une fois signé, le parti démocratique discutait, éludait et embarrassait la ratification là où il eût fallu approuver en silence, comme le proposait le comte Balbo. Par un aveuglement puéril, cette chambre démocratique allait d’elle-même au-devant d’un coup d’état que le nouveau roi eût pu accomplir d’un mot, et auquel le pays eût peut-être battu des mains. Il y avait alors au pouvoir un homme d’une séduisante loyauté de caractère, d’un esprit élevé et fin, éclairé par le patriotisme, M. d’Azeglio, devenu président du conseil peu après l’avènement de Victor-Emmanuel II. M. d’Azeglio sentit que, puisque le traité avec l’Autriche était une nécessité à laquelle il fallait se résigner, le maintien du statut était pour le Piémont le seul moyen de faire acte d’indépendance. Il ne voulut pas trancher les difficultés qu’on lui créait ; il les dénoua en conseillant une dissolution de la chambre et un appel direct du roi au pays. Le pays répondit à cet appel en nommant une chambre qui permît au gouvernement de remplir ses obligations avec l’Autriche, et le régime constitutionnel fut sauvé à Turin. Ce jour-là, le Piémont gagnait sa bataille de Novare, et il la gagna sur les passions de parti par l’alliance de la loyauté et du bon sens.

C’était une confirmation nouvelle du statut ; le régime constitutionnel était heureusement affranchi de toutes les solidarités révolutionnaires et devenait un système régulier de liberté modérée qui peut n’avoir pas produit tous ses résultats intérieurs, mais qui a vécu. Et il a vécu justement par l’intime et invincible union du souverain et du peuple, qui sont liés par les mêmes intérêts, les mêmes sentimens et les mêmes espérances. Un des caractères de cette maison royale, c’est d’être profondément identifiée avec le pays ; elle n’a pas même une fortune privée à elle. Il peut y avoir en Piémont des libéraux, des conservateurs, des absolutistes, des radicaux, en un mot des nuances diverses d’opinions qui se font jour dans le parlement, il peut y avoir des antipathies comme il en existe entre les habitans de la Savoie et les Piémontais ; mais ces dissidences, ces dissentimens de caractères et d’opinions ne deviennent jamais une agression contre le roi, qui est toujours, aux yeux de tous, l’expression traditionnelle et populaire de la vie nationale, et par cela même le roi n’est nullement intéressé à entraver la liberté universelle. Il s’ensuit que la popularité du roi est une garantie pour la liberté, et que la liberté à son tour est une force de plus pour la monarchie. Aussi qu’est-il arrivé depuis dix ans ? Les passions révolutionnaires se sont éteintes comme des flammes sans alimens. Tandis que les autres pays de l’Italie sont pleins de troubles secrets et d’agitations menaçantes, le Piémont est exempt de tous ces périls inté-