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du Piémont en Italie est l’obsession de cet esprit puissant. « Si l’Autriche domine de Venise à Pavie, dit-il, c’en est fait de la maison de Savoie : vixit. » De Maistre ne pouvait se lasser de le répéter ; il l’écrivait dans une lettre de 1812, qui a été récemment divulguée : « Par la nature même des choses, dit-il, l’Autriche, tant que nous ne changerons ni de force ni de situation respectives en Italie, sera toujours portée par une tendance invincible à s’avancer sur la maison de Savoie, et pour arriver à ce but, elle profitera de toutes les occasions. L’intérêt le plus évident de la maison de Savoie, intérêt qu’elle partage avec toute l’Italie, c’est sans doute que l’Autriche ne possède rien dans ces contrées, sauf à l’indemniser d’une manière digne d’elle en Allemagne. Il n’y a dans cette proposition rien de contraire au respect dû à l’une des plus grandes maisons de l’univers. On dit seulement, et c’est un fait incontestable, que ses possessions en Italie n’étaient avantageuses ni à elle ni à l’Italie, et qu’elles nuisaient infiniment à la maison de Savoie, quelles que pussent être d’ailleurs les relations de sang de ces deux augustes familles… »

On ne saurait dire à quel point la pensée d’une restauration impériale au-delà des Alpes exaspérait cet homme de bien dont l’intelligence vigoureuse embrassait l’avenir jusqu’à ses extrémités. « Prenez garde à l’esprit italien, écrivait-il encore le 18 juillet 1815 au comte de Valesia, ministre des affaires étrangères à Turin, — il est né de la révolution. Notre système, timide, neutre, suspensif, tâtonnant, est mortel dans cet état de choses. Que le roi se fasse chef des Italiens, que dans tout emploi civil et militaire et de la cour même il emploie indifféremment des révolutionnaires, même à notre préjudice, ceci est essentiel, vital, capital ; les expressions me manquent… » Et puis quand tout fut dit, quand la restauration fut accomplie, il reprenait plus triste : « Que vous dirai-je de l’Italie, monsieur le comte ? Vous voyez ce qui s’y passe mieux que moi. Pauvre Italie ! ceux qui l’aiment ont fait ce qu’ils ont pu ; mais il faut d’autres machines pour la tirer de l’abîme déplorable où elle est tombée. » Que veut dire cela ? pourra-t-on observer. Que le Piémont a une vocation prononcée pour la Lombardie, que la maison de Savoie a de vieux désirs d’agrandissement que ses princes se transmettent, dont ses serviteurs ont fait une politique ? Oui, mais cette politique a deux faces : si d’un côté elle s’appelle une ambition de race royale, de l’autre elle s’appelle l’indépendance de l’Italie. Le règne du roi Charles-Albert ne fut que la lente et mystérieuse identification de ces deux idées. Et sous quels auspices a été scellée et s’est fortifiée cette alliance, devenue l’une des choses les plus sérieuses de la politique contemporaine ? Sous les auspices de la li-