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quête, alliances, tout leur est bon. Quelquefois ils semblent totalement perdus, et le lendemain ils sont debout avec une ville ou un territoire de plus. Le pape Félix V, qui avait été duc de Savoie, disait que « les princes de sa maison n’avaient pas l’habitude de rendre les choses qu’ils avaient acquises, mais d’en acquérir de nouvelles de ceux qui voulaient avoir paix avec eux. » De leur position à cheval sur les Alpes, ils ont tiré leur politique et leur caractère : prompts à saisir les occasions, toujours prêts à se jeter dans les guerres européennes pour assister aux congrès, parce que c’est dans les congrès que se distribuent les territoires, peu scrupuleux d’ailleurs entre des voisins également menaçans, mais portés en général à se tourner du côté du plus faible pour mieux faire compter et payer leur alliance. C’est Emmanuel-Philibert qui fut le créateur de la politique italienne du Piémont en se transportant définitivement à Turin et en précisant la direction des ambitions de sa maison. « En Allemagne, il est estimé Allemand, disaient de lui les ambassadeurs vénitiens ; en France, il est Français par ses parentés vieilles et nouvelles, mais lui, il est Italien et il veut être tenu pour tel. » Emmanuel-Philibert fit mieux : en créant une politique nouvelle, il créa un instrument pour la servir, une nation unie et compacte, un peuple discipliné et tout plein d’esprit militaire ; en un mot, il créa le Piémont moderne.

Dès lors commence cette marche vers Milan qui constitue désormais la politique piémontaise. Dans toutes les combinaisons se retrouve cette pensée de la couronne de la Lombardie. Elle est dans le projet grandiose de réorganisation de l’Europe conçu par Henri IV ; elle est dans les alliances nouées avec Louis XIV pendant la guerre de succession, de même qu’elle est dans les négociations suivies d’un autre côté avec les chefs de la coalition européenne. Le ministre anglais Hill écrivait alors de Turin à sa cour : « Je crois que le duc verrait les Français à Milan plus volontiers que les impériaux ; mais il préférerait les Turcs aux uns et aux autres. Son altesse royale ne sait pas cacher la grande tentation qu’elle a de s’emparer elle-même du duché de Milan… » Ces princes marchent à leur but par toutes les voies, tantôt par la guerre, tantôt en faisant acheter leur neutralité, tantôt même par des mariages, — témoin le mariage que Louis XIV négociait entre Philippe V et la princesse Gabrielle, fille de Victor-Amédée II, ce qui deux ans plus tard n’empêchait pas celui-ci, peu satisfait de la France, de passer aux alliés. La couronne de l’Italie du nord fuit cependant. La maison de Savoie ne peut l’atteindre, Charles-Emmanuel III lui-même ne peut la garder après avoir été deux ans à Milan pendant la guerre de 1734 ; mais alors on se contente d’acquisitions partielles qui sont