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vivre dans ce grand camp une armée permanente de quatre-vingt mille hommes, et pour subvenir à l’entretien, à l’agrandissement d’une ceinture de citadelles, — Vérone, Mantoue, Peschiera, Legnago, — derrière lesquelles est obligée de se retrancher la puissance autrichienne.

Ce que je dis ici, bien des partisans de l’Autriche le pensent. Ils croient que c’est une question d’honneur et de dignité pour la couronne impériale, ils doutent que la possession de la Lombardo-Vénétie soit désormais un avantage. Il paraissait récemment à Bruxelles une petite brochure sur les Tribulations de l’Italie autrichienne. L’auteur met trop de zèle à railler l’ambition conquérante du Piémont, à énumérer les causes de rivalité entre les Piémontais, les Lombards, les Vénitiens, pour n’être pas un ami de l’Autriche. Que dit-il cependant ? Que l’état actuel est un état de transition, que le « régime des baïonnettes, régime contre nature, » est impossible, que l’Autriche enfin doit se hâter de changer de système, instituer une consulte d’état à la place de ces congrégations centrale et provinciales qui n’ont rien de sérieux, diminuer les impôts, alléger le fardeau du recrutement, faire pénétrer dans l’administration l’esprit civil, un esprit d’équité et de tolérance. — Le cabinet de Vienne en effet a paru, dans ces dernières années, vouloir entrer dans cette voie ; mais d’abord cela suffit-il en présence de la révolte permanente du sentiment national ? Et de plus les incertitudes, les antagonismes nés de la mission de gouvernement confiée à l’archiduc Maximilien ne prouvent-ils pas que l’Autriche est elle-même sous le poids de ce régime de bureaucratie et de pouvoir militaire qui a été son instrument de règne, et qui est devenu son embarras, sa fatalité, dirai-je ? Ainsi sous toutes les formes reparaît pour l’Autriche cette terrible alternative de la difficulté des concessions libérales et de l’impossibilité de vivre uniquement et indéfiniment par la force sans entretenir dans la situation de la péninsule et de l’Europe des germes perpétuels de conflit. C’est là ce que j’appelle une des faces, et la plus grave, du problème des destinées de l’Italie.

A vrai dire, une des choses qui ont contribué le plus à mettre en relief ces conditions morales et politiques de toute une partie de la péninsule, et à raviver sans cesse dans les préoccupations de l’Europe cette question italienne, c’est que, à côté d’un ensemble de populations et d’états affaiblis ou exaspérés par la compression, il s’est trouvé un pays qui est devenu la vivante opposition de tout ce qui existait au-delà des Alpes : c’est le Piémont. De la sorte on a eu sous les yeux, depuis dix ans particulièrement, deux Italies, l’une troublée, confuse, irritée par les déceptions et toujours inquiétante par cet amas d’élémens explosifs qu’elle contient, l’autre