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ce fut une erreur qui ne pouvait que mieux mettre en relief le vice originel de la situation nouvelle créée au-delà des Alpes, et qui devait avoir deux conséquences également graves : l’organisation d’une bureaucratie étroite, formaliste, pénétrant dans l’intimité de la vie privée, enveloppant le pays dans le réseau d’une surveillance méticuleuse, — et l’exclusion des Italiens de la plupart des fonctions d’administration et de gouvernement.

La centralisation, qui avait été une arme si abusivement puissante entre les mains de Napoléon et que l’Autriche trouva en vigueur, fut le piège de la politique impériale. Dès lors tout dut se faire à Vienne ; tous les fils de cette vaste organisation allèrent se concentrer dans le cabinet de l’empereur François Ier, le premier bureaucrate de l’empire, souverain exact, laborieux et sévère, qui prit trop souvent la rigueur pour la justice, et qui résumait au reste sa politique à l’égard de l’Italie dans ce mot qu’il adressait aux professeurs de l’université de Pavie : « Votre devoir, leur disait-il, est de faire moins des savans que des sujets fidèles. » Et en même temps que tout se décidait à Vienne jusqu’aux plus petites questions d’administration, tout s’exécutait pur des mains allemandes dans la Lombardo-Vénétie. Les soldats italiens étaient dispersés dans toutes les parties de l’empire, en Moravie, en Bohême, en Transylvanie, et les soldats allemands campaient à Milan et à Venise. Les Lombards étaient également exclus des emplois civils ; un système évident de défiance pesait sur eux. L’élément autrichien prévalait partout, même dans les tribunaux, où on avait le soin de mettre une majorité allemande. La justice autrichienne a joui d’une certaine renommée, et elle la méritait, dit-on, dans les affaires civiles ; dès que survenait une affaire intéressant l’état, le président avait le droit de composer la cour, en sorte que sous une espèce de sanction légale, sans bruit, les tribunaux ordinaires se transformaient en véritables commissions de gouvernement.

Malheureusement, si les habitans du royaume lombardo-vénitien n’avaient qu’une petite part dans l’administration des affaires de leur propre pays, ils participaient beaucoup d’un autre côté aux charges publiques. Les taxes directes et indirectes s’accroissaient tous les jours, et étaient aggravées encore par l’inégalité des répartitions. Un impôt local décrété pour une circonstance extraordinaire devenait fatalement un impôt permanent. La Lombardo-Vénétie représente un treizième ou un quatorzième de la superficie totale de la monarchie autrichienne, un huitième de la population, et par une disproportion notable elle comptait, il y a vingt ans, pour un quart dans le budget général de l’empire, qui était alors de 135 millions de florins ; elle payait un peu moins de 100 millions de livres