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tues. Le cabinet de M. de Villèle donnait malheureusement trop de prétextes à de légitimes attaques; en s’abandonnant de plus en plus à l’impulsion du parti rétrograde, il précipitait la monarchie légitime vers l’abîme où elle devait s’engloutir. Le roi Louis XVIII n’était plus sur le trône pour contenir le zèle de son ministre et pour défendre son œuvre contre les ennemis secrets des institutions qu’il avait fondées et maintenues. Le nouveau règne annonçait un nouveau système, et le roi Charles X, dominé par les opinions et les préjugés d’un autre temps, semblait par momens prendre à tâche de faire reculer la société que son frère avait fait marcher en avant. Après la loi du sacrilège, suivie de celle qui tendait à rétablir le droit d’aînesse, et qui fut rejetée par la chambre des pairs, le gouvernement avait présenté la fameuse loi sur la police de la presse. Ce dernier projet surtout, « moins mauvais, dit M. Villemain, que ne serait le complet arbitraire, » mais tracassier pour les livres comme pour les journaux, oppressif du libre examen, et tendant, suivant l’expression du duc de Fitz-James, à supprimer l’esprit en France, anima la généreuse colère de Chateaubriand. Il contribua pour sa part à soulever l’opinion dans les bureaux de la chambre des pairs, dans la presse, dans les salons, au point de forcer le ministère à retirer avant la discussion son maladroit projet. Il n’eut donc pas l’occasion de prononcer à la tribune l’éloquent et solide discours qu’il avait préparé; mais il l’a publié dans ses œuvres, comme un éclatant témoignage de son zèle pour la charte et pour les libertés publiques. Il voyait dès lors s’annoncer dans le lointain le ministère de M. de Polignac et les ordonnances de juillet. « Cette certitude acquise, disait-il, de l’existence d’un parti qui a horreur de l’ouvrage de Louis XVIII, d’un parti qui, d’un moment à l’autre, peut se faire illusion au point d’entreprendre tout contre nos libertés, attriste profondément les hommes dévoués au monarque et à la monarchie. « Juste et tardif retour de son opinion contre un parti qu’il devait se repentir alors d’avoir élevé au pouvoir! Pour l’empêcher d’y remonter à la retraite de M. de Villèle, l’ancien ennemi de M. de Richelieu et de M. Decazes proposait pour nouveaux ministres M. Casimir Périer, le général Sébastian! et M. Royer-Collard. Son patronage donné à de tels noms suffit pour indiquer le changement de sa politique.

Chateaubriand reprochait surtout à M. de Villèle de ne pas comprendre la société qu’il conduisait, de donner tous ses soins aux opérations de finances, aux associations commerciales, au progrès industriel, à tous les besoins matériels de la nation, et d’oublier les généreuses aspirations des esprits, si ardentes alors. Il est vrai que Chateaubriand, pendant son ministère, avait été plus attentif à ce mouvement moral; il avait voulu, dit-il, « occuper les Français à la