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norable clémence pour les vaincus et des institutions libérales pour son malheureux pays.

Chateaubriand n’était pas d’humeur, après l’enivrement de son triomphe, à supporter longtemps un supérieur nominal dans le ministère. Une sourde rivalité s’établit bientôt entre lui et le président du conseil, M. de Villèle. On sait comment elle se termina, quel coup brusque et inattendu le précipita du pouvoir, et transforma le défenseur du trône et de l’autel en implacable Coriolan. Il avait le droit de se sentir blessé; ses services passés méritaient un autre traitement, et les seules lois de la politesse commandaient à M. de Villèle plus d’égards et de meilleurs procédés. Mais combien Chateaubriand aurait été plus grand, dans sa chute même, si, conservant le respect de sa propre dignité, il n’eût pas cherché à renverser à tout prix le système qui avait jusqu’alors été l’objet de son culte! Quelle leçon il eût donnée à M. de Villèle, et quel exemple à l’avenir! Un grand rôle s’offrait à lui. Son passage au ministère, en lui donnant l’expérience du gouvernement, avait amorti la fougue de royalisme exalté dont il avait fait preuve en luttant contre M. Decazes; il avait dû apprendre, en maniant les affaires, cet art des tempéramens que l’opposition ignore, et que le pouvoir seul est capable d’enseigner. Il pouvait maintenant, en face du cabinet qui l’avait répudié, se dresser en véritable homme politique, défenseur de la charte en même temps que dévoué à la monarchie, fort de la popularité que son génie littéraire lui avait conquise et des sympathies qui avaient entouré sa disgrâce, attendant patiemment et noblement l’heure d’une réparation inévitable, désigné d’avance par la voix de tous les partis pour ressaisir le pouvoir quand il échapperait à ses adversaires, gardant ses forces et son autorité pour les mettre au service du trône le jour où le trône en aurait besoin. Malheureusement Chateaubriand était trop passionné pour suivre les conseils de la froide raison; il se laissa dominer par le soin de sa vengeance. Les intérêts mêmes de la monarchie n’étaient d’aucun poids pour le retenir. Il était fidèlement royaliste, on n’en saurait douter; mais, persuadé que la dynastie lui devait sa restauration et sa splendeur, tandis que, pour lui, il ne devait rien à la dynastie, il se trouvait plus que quitte. Lors même qu’il aurait renversé le trône, il aurait cru avoir encore des droits à la reconnaissance royale. Quant au ministère, il l’avait créé, il se sentait maître de le détruire, et il engagea contre lui une guerre aveugle, sans se demander si ses coups portaient plus haut.

Cette seconde opposition de M. de Chateaubriand, qui rappela les violences de la première, avait du moins le mérite d’être mise au service des principes qu’il avait méconnus naguère, et de donner satisfaction à ces exigences de progrès qu’il avait autrefois combat-