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aussi vivement qu’aucun autre Français de l’occupation étrangère. Obtenir la libération du territoire avant l’époque fixée par les lamentables traités de 1815, telle était sa pensée dominante et le but de ses constans efforts. Pour avancer ce terme si ardemment désiré, il fallait inspirer confiance à l’Europe dans la stabilité de la restauration; pour rassurer les étrangers, il importait avant tout que le gouvernement français parût sûr de lui-même, qu’il cachât ses inquiétudes intimes, afin de se délivrer plus tôt du secours détesté qu’on lui imposait : s’il fût entré dans la voie des violences, il aurait fait douter de sa force, car ce qui est violent n’est pas durable. Le duc de Richelieu voulait donc, autant pour affranchir sa patrie que pour lui assurer la paix intérieure, la mettre à l’abri des partis extrêmes, de la droite aussi bien que de la gauche; par les grands intérêts de sa politique comme par les généreuses dispositions de sa nature, il était porté à la modération. Si jamais les partis pouvaient comprendre la nécessité de se calmer et de se taire, ils devaient nécessairement à cette époque favoriser le ministère au moins de leur silence, afin de lui laisser accomplir son œuvre nationale. Cependant nous voyons Chateaubriand exciter sans cesse l’opposition royaliste dans la chambre des pairs et entretenir l’agitation dans son camp. Grâce à Dieu, le duc de Richelieu triompha de ces obstacles, et le roi Louis XVIII put le remercier avec effusion d’avoir fait flotter le drapeau français sur toutes les villes françaises; mais cette gloire si pure ne désarma point Chateaubriand, et l’attitude hostile de la droite contribua sans doute autant que les difficultés législatives à déterminer la retraite du ministre qui avait rendu un si éminent service à la France.

M. Decazes, devenu ministre prépondérant et bientôt après appelé à la présidence du conseil, avait encore besoin de l’appui de tous les partis pour donner au pays les lois fondamentales qui devaient servir de complément à la charte. Son système d’administration pouvait en beaucoup de points déplaire à M. de Chateaubriand; mais M. de Chateaubriand aurait dû comprendre que le moment n’était pas encore venu pour la droite de saisir la direction des affaires : elle était à cette époque trop ardemment en lutte avec la gauche, même dynastique, pour pouvoir donner satisfaction à tous les intérêts opposés et pour concilier les exigences de la liberté avec celles de la monarchie dans les lois importantes que la France attendait. Le centre seul pouvait tenter avec quelque succès de faire une œuvre durable. On ne pouvait nier que M. Decazes ne fût dévoué au roi, de la faveur duquel il tenait sa haute fortune, et son attachement à toutes les libertés publiques devint assez évident quand il laissa tomber d’elles-mêmes toutes les lois d’exception dont il était