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tage était précisément d’être « un traité où les deux partis extrêmes abandonnaient quelque chose de leurs prétentions pour concourir à la gloire de la patrie, » telle était la mission imposée aux publicistes de la royauté nouvelle, tel fut le but que Chateaubriand se proposa en publiant ses Réflexions politiques au mois de décembre 1814. Il ne montrait pas alors, à côté de ses théories conciliantes, cet esprit d’exclusion ni cette ardeur de réaction dont il devait affliger quelques mois plus tard la monarchie restaurée une seconde fois.

Il est vrai, et nous devons le reconnaître à la décharge de M. de Chateaubriand, que les événemens de l’année 1815 étaient de nature à raviver les anciennes discordes, à exciter de nouvelles et justes colères. La première restauration avait pu se confier indistinctement aux anciens émigrés et aux anciens serviteurs de l’empire; la seconde pouvait-elle croire à la fidélité des hommes qui avaient violé deux fois de plus leurs sermens, en acclamant à trois mois de distance le retour imprévu et l’irrévocable chute de Napoléon? La justice même n’exigeait-elle pas qu’on châtiât sévèrement tant de défections, et n’était-ce pas exposer l’état à des catastrophes nouvelles que de laisser impunies les trahisons les plus scandaleuses? D’autre part, la royauté pouvait-elle accepter la mission pénible de liquider les comptes de cette désastreuse année, de distribuer à chacun le prix de ses œuvres? pouvait-elle, sans assumer une lourde charge d’impopularité, publier un édit de persécution et de vengeance qui frapperait toute une partie de la nation? Jamais tâche plus difficile ne s’était imposée à un gouvernement. Deux partis se dessinèrent dès lors dans le camp même des vainqueurs, le parti des rigueurs et le parti du pardon. Pourquoi Chateaubriand s’élança-t-il dans le premier? Il était guidé surtout, on veut le croire, par la généreuse indignation que lui inspiraient les bassesses et par la passion désintéressée de l’honneur; il craignait sincèrement pour la restauration l’abus de la faiblesse, et il se révoltait avec quelque raison en voyant Fouché entrer dans les conseils du roi. Malheureusement, à côté de ces sentimens élevés, on est obligé de reconnaître, avec M. Villemain, qu’il y avait place dans son âme « aux rancunes de l’émigré et à la colère de l’ambition mécontente. » Il avait suivi Louis XVIII dans son récent exil; il avait été ministre de l’intérieur à Gand, et maintenant il avait seulement le titre de ministre d’état sans autorité et sans portefeuille! Il se demandait quel était le prix de la fidélité, si les compagnons dévoués des infortunes royales n’étaient pas traités avec plus de faveur que les serviteurs impudens de tant de révolutions contraires. Ils sont peu nombreux dans les partis, les hommes qui s’oublient entièrement eux-mêmes, qui s’attachent seulement au triomphe de leur cause, et partagent volontiers la récompense avec les ouvriers de la onzième heure. Chateaubriand n’avait