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Tout ici milite en faveur de la possession par l’état. Il n’est plus seulement en effet question d’imposer à un propriétaire l’obligation de conserver un bois sur pied, ce qui peut bien à la rigueur être une entrave à sa jouissance, mais ce qui ne lui apporte aucune charge nouvelle ; il s’agit au contraire de travaux dispendieux auxquels on le contraindrait, non pas dans son intérêt exclusif, mais dans celui de cinquante départemens dont la sécurité et la prospérité dépendent, dans une certaine mesure, du succès d’une telle opération. Si jamais le principe de l’utilité publique peut être invoqué, c’est bien certainement dans cette circonstance, avec autant et plus de raison peut-être que pour l’ouverture d’une route, le creusement d’un canal ou la construction d’une forteresse, car le reboisement, au bout de quelques années, rembourserait les frais qu’il aurait coûtés, et d’un autre côté dégrèverait le budget des travaux d’entretien et de réparation des digues, routes, etc., périodiquement détruites ou endommagées par les inondations. Bien loin d’être une charge, il serait devenu pour l’état une source de revenus. Qu’on ne se méprenne pas sur l’action de l’état dans cette circonstance. Ce ne serait là, en aucune façon, un pas vers le communisme ; ce serait de l’administration pure et simple, et beaucoup moins gênante pour les particuliers que si le gouvernement intervenait d’abord pour les obliger à reboiser leurs terrains, ensuite pour les empêcher de les défricher. En reculant devant l’expropriation, « vous aurez à la vérité, comme dit M. de Ribbe, respecté le droit de propriété ; mais la propriété elle-même aura disparu, » et non pas seulement celle du propriétaire récalcitrant, mais encore celle de l’habitant de la plaine que l’inondation aura envahie.

Le principe de l’expropriation des terrains à reboiser étant admis, on se trouve en présence d’un nouvel ordre de questions. Il ne faut pas se dissimuler qu’une pareille entreprise présentera des difficultés nombreuses, dont les plus graves ne sont pas celles qui résulteront de l’exécution matérielle des travaux, mais bien celles qui proviendront de l’opposition et du mauvais vouloir des populations. Quoique vivant dans un milieu misérable, il est incontestable qu’elles accueilleront de très mauvaise grâce toute mesure qui aura pour effet de modifier leurs conditions d’existence et d’entraîner un changement dans leurs habitudes. Rendues apathiques par leur misère même, elles ressemblent au voyageur raidi par le froid, qui, sachant bien que le sommeil sera pour lui la mort, s’y abandonne néanmoins et résiste à quiconque veut le réveiller. Un grand nombre de ces populations, surtout dans les Alpes et dans les Pyrénées, n’ont d’autre ressource que le pâturage, et l’on comprend que toute restriction à ce sujet soit pour elles une cause de misère. D’un autre côté, dans les conditions actuelles, le pâturage est un fléau dévasta-