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Le premier de ces moyens présenterait dans l’application des difficultés sans nombre. Non-seulement les neuf dixièmes des communes et des particuliers sont dans l’impossibilité d’entreprendre un travail qui exige des capitaux disponibles assez considérables ; mais, en admettant qu’ils aient les ressources suffisantes, il n’y aurait en aucune façon lieu de compter pour cela sur leur bonne volonté. Il faudrait donc les contraindre, ce qui nécessiterait de la part du gouvernement une intervention constante, et toujours fâcheuse, dans la gestion de leurs biens. Et d’ailleurs, une fois le reboisement effectué, quelle garantie aurait-on de le voir maintenu ? Les causes qui ont amené la dénudation actuelle cesseront-elles d’agir du jour au lendemain ? Et aura-t-on changé la condition des habitans, parce qu’un décret aura prescrit le reboisement ? Un ouvrage déjà cité[1] reproduit une longue série d’ordonnances royales et d’arrêts du parlement, rendus à partir du XVe siècle pour mettre un terme, par l’action d’une pénalité des plus sévères, aux défrichemens et aux abus du pâturage. Sous Louis XV, un arrêt du conseil alla même jusqu’à édicter la peine de mort contre les délits de ce genre. Toutes ces mesures ont-elles empêché le mal de s’étendre tous les jours ? Et pense-t-on être plus heureux aujourd’hui avec de simples amendes ? Serait-il juste d’ailleurs d’imposer à ces propriétaires l’obligation de reboiser leurs terrains à leurs frais ? Nous ne le pensons pas. En bonne justice, ces travaux devraient être à la charge de ceux qui y trouveront leur avantage. Or les propriétaires dont nous parlons tirent aujourd’hui de leurs terres un certain revenu, médiocre il est vrai, mais réel, qui constitue pour eux un produit net plus considérable que celui qu’elles leur procureraient si elles étaient reboisées. Ils auraient de plus des avances à faire, dans lesquelles ils ne pourraient pas rentrer de leur vivant, et que leurs petits-enfans seuls pourraient recouvrer. Or bien peu sont sensibles à la satisfaction de pouvoir se dire :

Mes arrière-neveux me devront cet ombrage.


C’est donc en réalité un sacrifice qu’on imposerait aux habitans de la montagne, et au profit de qui ? Au profit de ceux des plaines et des vallées, désormais protégées contre les inondations et fertilisées par des irrigations rendues possibles, ou de ceux du littoral, dont la navigation se trouvera débarrassée des entraves que lui créaient les atterrissemens.

Espérerait-on, au moyen de primes, d’exemptions d’impôts, de distinctions honorifiques, décider les propriétaires à reboiser spontanément leurs héritages ? Ce serait encore une illusion. Le principe

  1. La Provence au point de vue des Torrens, etc., par M. de Ribbe.