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aux particuliers, et d’affecter à cette dépense, qui pourrait s’élever à 62,500,000 francs, le produit de l’aliénation de 100,000 hectares de forêts domaniales. Ce projet n’eut aucune suite. Depuis lors, cette question ne fut plus en quelque sorte abordée qu’au point de vue théorique, et, à part les vœux réitérés d’un grand nombre de conseils-généraux, aucun document officiel n’indique qu’on ait l’intention de la faire passer du domaine de la spéculation dans celui des faits.

À quoi tiennent ces indécisions continuelles ? D’abord et surtout à la versatilité de notre caractère, qui, tout en nous faisant désirer la fin, nous fait hésiter sur les moyens. On craint de léser les intérêts des populations qui, ne vivant que du pâturage, se trouveront, par l’effet du reboisement, privées de leur unique ressource. Étranges scrupules, qui ruinent ceux mêmes dont on prétend servir les intérêts ! Leurs champs sont emportés, leurs maisons effondrées, des villages entiers contraints d’émigrer, et on craint de violenter leurs habitudes ! On comprend à la rigueur qu’on ne veuille pas faire leur bonheur malgré eux ; mais d’autres intérêts que les leurs sont en jeu, et montrer tant de délicatesse pour les uns, n’est-ce pas faire preuve de beaucoup d’insouciance pour les autres ? La prospérité d’une notable partie du territoire de la France dépend d’un reboisement. Le fait admis, il n’y a plus à discuter que les moyens d’y arriver le plus promptement, le plus économiquement, et en lésant le moins d’intérêts possible. Comment et par qui ces travaux devront-ils être exécutés ?

Les terrains à reboiser, dont l’étendue est encore indéterminée[1], appartiennent à l’état, aux communes et aux particuliers. En ce qui concerne les premiers, la question ne saurait être douteuse ; le reboisement devra être à la charge de l’état. Du reste, si nous ne nous trompons, l’administration forestière est déjà entrée largement dans cette voie : un crédit de 10 millions, qui lui a été alloué, il y a quelques années, pour cet objet, lui a permis sans doute de restreindre beaucoup l’étendue des parties qui lui restent à reboiser. Pour les terrains appartenant aux communes et aux particuliers, la question est plus complexe. Trois moyens se présentent : 1o forcer purement et simplement les propriétaires de ces terrains à les reboiser, sauf, en cas de refus ou d’impossibilité de leur part, à faire le reboisement à leurs frais ; 2o faire contribuer l’état, au moyen de primes et d’exemptions d’impôts, aux dépenses de ces opérations ; 3o procéder par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique, et confier exclusivement à l’état, et à son profit, l’exécution des reboisemens.

  1. Les chiffres cités plus haut ne paraissent pas présenter une bien complète garantie d’exactitude, attendu qu’on n’avait pas fait connaître les bases qui avaient servi à les établir.