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plus attaquable par les eaux, et facilitent ainsi la formation des torrens. Ces troupeaux, qui, pour les quatre départemens du Var, de l’Isère, des Hautes-Alpes et des Basses-Alpes seulement, comptent un nombre de têtes qu’on évalue à 1,500,000 environ, n’appartiennent pas exclusivement aux habitans du pays. Un tiers au moins sont des troupeaux transhumans, appartenant à des propriétaires de la Provence ou du Piémont. Après avoir passé l’hiver dans les plaines, ils se rendent pendant l’été dans la montagne, où, moyennant une rétribution de 50 centimes par tête, ils ont le droit de ne laisser sur leur passage aucune trace de végétation.

Restreint dans de justes limites, le pâturage est certainement une ressource très précieuse pour certains pays ; mais, poussé à l’excès, comme il l’est dans ces contrées, il devient un vrai fléau. Il faudra cependant prendre un parti si l’on ne veut pas voir la plus grande portion de ce riche territoire se stériliser et s’appauvrir tous les jours davantage, et la population réduite à chercher dans des contrées lointaines des moyens d’existence que la patrie lui refuse. Toute cette région est très peu boisée : sur 15,400,000 hectares, elle comprend à peine 2,700,000 hectares de bois, et quels bois ! Sauf dans les Pyrénées et sur quelques points des Alpes, ce ne sont que des broussailles éparses, des cépées buissonnantes, périodiquement dévastées par les incendies et ravagées par la dent du bétail. C’est environ 17 pour 100 de la superficie totale, quand un tiers au moins de cette étendue devrait être couvert de forêts épaisses. À côté, nous trouvons près du double, c’est-à-dire 4,200,000 hectares ou 27 pour 100, en landes, pâtis et bruyères ! Est-ce bien là la situation d’un pays prospère ? On ne peut guère se méprendre cependant sur les conséquences d’un pareil état de choses. L’histoire du passé nous les dira, si le présent ne suffit pas à nous instruire : elle nous prouvera une fois de plus que si l’homme peut dominer les influences du milieu dans lequel il vit, ce n’est qu’à la condition de ne pas méconnaître les lois de la nature ; une fois qu’il a tari les sources de sa prospérité, il faut des siècles pour les rétablir.

Tout le monde sait en effet que le Languedoc et la Provence étaient pendant le moyen âge dans un état de prospérité dont la situation présente est loin d’approcher. Les guerres des Albigeois, celles de la réforme et les déboisemens qui en ont été la conséquence, ont amené cette déchéance, dont la situation exceptionnellement favorable de ces deux provinces ne les a pas encore relevées. Dans le département de l’Ain, la Bresse et la Dombe, aujourd’hui couvertes d’étangs et de marais pestilentiels, étaient autrefois riches et peuplées, et c’est en partie à la disparition des bois qu’il faut attribuer l’état actuel. Sans remonter aussi haut, un fait extrêmement grave vient de nous être révélé par le dernier dénombrement de la