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arbres aient atteint toutes leurs dimensions ; dès l’âge de quatre ou cinq ans, ils ont déjà une efficacité marquée. Chaque reboisement effectué sur les pentes ou les plateaux est en quelque sorte une conquête faite sur le domaine du fléau et une réduction dans les ravages qu’il peut faire ultérieurement. Cependant, pratiqué sur une trop grande étendue, le reboisement irait précisément contre le but qu’on veut atteindre. Si les forêts recouvraient une trop grande portion du territoire, elles pourraient ne pas laisser échapper assez rapidement, par les sources ou les voies souterraines, toute la quantité de pluie tombée dans un temps donné, avant qu’il ne s’en produise de nouvelle. Ce nouveau liquide, ne pouvant plus alors pénétrer dans un sol déjà complétement imbibé, couvrirait le pays d’eaux stagnantes, et, s’il était considérable, causerait infailliblement des inondations ; ce serait comme un vase rempli qui déborde parce qu’on y verse plus d’eau que son orifice n’en peut laisser écouler. Tel était l’état de la Gaule à l’époque où elle était couverte de bois ; tel est encore celui de certaines parties de l’Amérique, boisées sur une étendue considérable, et c’est ce qui explique une apparente contradiction qu’on reproche aux partisans du reboisement.

Il faut donc, pour arriver aux résultats désirables, qu’il y ait entre les parties boisées et les terrains découverts une certaine proportion, impossible à préciser quant à présent, et qui ne pourra être déterminée avec exactitude qu’après des études suivies, entreprises de manière à rapprocher chaque bassin d’un réservoir qui laisse échapper d’une manière régulière et constante l’eau qu’il ne reçoit que par intervalles. Quoi qu’il en soit, on peut dire dès aujourd’hui d’une manière générale que le reboisement devra principalement porter sur les parties montagneuses des différens bassins. C’est en effet sur les montagnes que les vents humides de l’Océan et de la Méditerranée produisent la condensation de vapeur la plus abondante, en raison de la température moins élevée qu’ils y rencontrent. C’est là que l’écoulement superficiel se produit, et par conséquent qu’il faut chercher à le diminuer en augmentant l’absorption ; c’est là que les sources prennent naissance, et qu’il est permis d’en régler le nombre et le volume ; c’est là enfin qu’apparaissent les torrens précurseurs des inondations, et qu’il est possible de les combattre. Toutefois cette prescription n’a rien d’absolu, et il pourra se faire que, même au point de vue des inondations, il y ait moins d’inconvénient à laisser déboisée telle montagne pastorale de l’Auvergne ou des Pyrénées que telle partie marécageuse de la Sologne ou telle plaine stérile et brûlée de la Provence ou des Landes.

Est-ce à dire qu’une fois ces travaux terminés, nous serons pour toujours à l’abri des inondations ? Cela n’est pas probable, car il n’est pas encore au pouvoir de l’homme d’empêcher les perturba-