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recouvrent ne fondent que bien longtemps après celles des parties dénudées, et tandis que les pluies diluviennes, qui amènent ordinairement les inondations, provoquent instantanément la fonte sur les parties découvertes et augmentent subitement ainsi la masse liquide, les mêmes pluies n’agissent que lentement sur les neiges des parties boisées ; elles n’en opèrent la fonte que peu à peu, ce qui rend beaucoup moins sensible l’augmentation du volume d’eau qui en résulte, et atténue encore le danger de la crue.

En résumé, au point de vue des inondations, les forêts agissent de quatre manières. — Elles diminuent la portion de la pluie tombée afférente à l’écoulement superficiel au profit de l’écoulement souterrain, c’est-à-dire la quantité d’eau disponible pour l’inondation. — Elles ralentissent cet écoulement superficiel. — Elles empêchent le ravinement des terres en les retenant sur les pentes, et produisent ainsi une nouvelle atténuation dans le volume de la crue. — Elles retardent la fonte des neiges[1].

Le reboisement est donc l’obstacle le plus efficace qu’on puisse opposer au fléau des inondations ; de tous les moyens de les prévenir, c’est le moins coûteux, et il offre de plus sur tous les autres l’inappréciable avantage de se conserver et de se multiplier de lui-même. Il ne faudrait pas croire que ses effets soient longs à se faire sentir : pour qu’ils se produisent, il n’est pas nécessaire que les

  1. En partant de ces données, M. A.-F. d’Héricourt (les Inondations et le Livre de M. Vallès, Annales forestières, décembre 1857) prouve que le reboisement d’une partie du bassin supérieur de la Loire aurait prévenu l’inondation de 1846 et les désastres qui en ont été la conséquence. Après avoir reconnu, avec son adversaire, qui a fait de cette catastrophe une étude toute spéciale, qu’il eût suffi, pour atteindre ce but, de soustraire au volume total de l’eau tombée la quantité de 175 millions de mètres cubes, M. d’Héricourt suppose le reboisement, accompli en temps utile sur 213,000 hectares du bassin supérieur de la Loire particulièrement propres à cette opération. « Ces 213,000 hectares, dit-il, auraient reçu pour leur part 325,290,000 mètres cubes d’eau. L’hygroscopicité et la perméabilité de ces terrains ayant été augmentées de 40 pour 100 par l’effet du reboisement, cette dernière opération aurait par cela même créé à elle seule une absorption de 130,356,000 mètres cubes. L’écoulement superficiel se serait ainsi trouvé réduit, dans les terrains reboisés, à 195,434,000 mètres cubes ; mais cette masse liquide aurait été, d’après ce que nous avons dit plus haut, considérablement ralentie dans sa marche vers les vallées par les résistances passives de toute nature que présentent les forêts, et la moitié au moins ne serait arrivée qu’après l’écoulement des eaux pluviales tombées sur les autres points du bassin. Il nous est donc permis de conclure que l’écoulement superficiel ne se fût élevé réellement qu’à 500 millions de mètres cubes en chiffres ronds, et que les désastres occasionnés par les crues en 1846, dans le bassin supérieur de la Loire, eussent été complétement conjurés par le reboisement. » Encore, dans les chiffres sur lesquels il s’appuie, M. d’Héricourt a-t-il omis de tenir compte du volume des matières charriées par les eaux, matières dont le poids s’élève jusqu’à 8 et 10 kilogrammes par mètre cube d’eau. Le reboisement, en empêchant les érosions, aurait par conséquent atténué en outre d’une manière sensible le chiffre total des mètres cubes, et dans tous les cas aurait diminué de beaucoup les désastres en empêchant que les terres inondées fussent recouvertes de graviers et de cailloux.