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breux qui constatent cette influence des forêts sur la production des sources et le régime des eaux, nous nous bornerons à citer le suivant, qui nous paraît caractéristique : « Quand Napoléon fut conduit à Sainte-Hélène, dit M. Blanqui[1], les Anglais comprirent la nécessité de s’emparer de l’île de l’Ascension, qui n’était qu’un rocher stérile, à peine couvert de quelques cryptogames, et ils y établirent une compagnie de cent hommes. Au bout de dix ans, cette petite garnison était parvenue, à force de persévérance et de plantations, à créer un sol dans l’île et à y faire jaillir de l’eau. Elle était abondamment pourvue de légumes. Voilà ce qu’ont produit les plantations sur un rocher au milieu de l’Océan. » À quoi bon d’ailleurs chercher si loin la preuve d’un phénomène qui se renouvelle journellement sous nos yeux et dont tout Parisien peut se convaincre sans s’aventurer au-delà du bois de Boulogne ou de la forêt de Meudon ? Qu’il se promène après quelques jours de pluie sur la route de Chevreuse, bordée à droite par la forêt de Meudon, à gauche par des terres cultivées. La quantité de pluie tombée ainsi que la durée de la chute ont été les mêmes d’un côté et de l’autre ; néanmoins le fossé de la route qui touche à la forêt sera encore rempli de l’eau provenant de l’infiltration à travers le sol boisé, tandis que depuis longtemps celui de gauche, contigu aux terrains découverts, aura été mis à sec, après avoir servi à l’écoulement immédiat de la pluie tombée. Le fossé de gauche aura donc débité en quelques heures toute l’eau que le fossé de droite met plusieurs jours à conduire au fond de la vallée.

Examinons maintenant le rôle des forêts lorsque les pluies sont assez intenses et assez prolongées pour que des crues puissent se produire. Avant d’arriver au sol et de l’imbiber complètement, la pluie doit traverser le dôme de verdure formé par les feuilles, et mouiller la superficie considérable qu’elles présentent ; c’est un premier déchet auquel vient s’ajouter celui que produisent la plus grande pénétrabilité des terrains boisés et la plus grande hygroscopicité de l’humus des forêts. Ce n’est donc qu’après que son volume aura été ainsi réduit que l’eau tombée pourra s’écouler superficiellement. L’écoulement se fera plus lentement et avec une moindre puissance destructive que sur les terrains dénudés, par suite des obstacles de toute nature que la masse liquide rencontrera sur sa route, en sorte qu’elle n’arrivera dans le thalweg d’un fleuve[2] que lorsque la pluie tombée dans les parties basses aura déjà été débitée. Ce retard dans les écoulemens est surtout très sensible au moment de la fonte des neiges. Lorsqu’une partie d’un bassin est boisée, les neiges qui la

  1. Voyage en Bulgarie.
  2. Le thalweg (de l’allemand thal vallée et weg chemin) est le milieu du courant d’un fleuve.