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ne saurait proclamer trop haut : sur le sol américain (je ne parle pas des états à esclaves), il est peu de personnes qui ne sachent lire et écrire. Combien d’années se passeront encore avant que nous puissions appliquer cette phrase si simple à notre France, où plus de la moitié des habitans est hors d’état de signer son nom!

La sollicitude dont l’Américain a entouré l’enseignement en Californie est la meilleure preuve de l’importance qu’il y attache. Une sauvage et tumultueuse anarchie, des crises redoutables se succédant sans intermittence, semblaient devoir écarter de cette population agenouillée devant le veau d’or toute préoccupation étrangère au culte du dollar; les enfans, qui plus est, étaient alors assez peu nombreux pour que, dans l’effervescence universelle qui suivit la découverte des placers, les magistrats que nous avons vus tellement au-dessous de leurs fonctions fussent excusables d’oublier un peu les écoles. Dès le lendemain de la conquête pourtant, des institutions primaires se fondaient à San-Francisco, et la municipalité les défrayait des dépenses qu’elles eussent été hors d’état de supporter. Ce ne furent d’abord que des entreprises particulières patronnées et subventionnées, mais que ne reliait aucun système; en 1851, le colonel Nevins fut chargé de proposer un projet de loi qui réglât définitivement la situation de l’enseignement primaire à San-Francisco. Ce colonel, qui acceptait les modestes fonctions d’instituteur (on a vu le même emploi occupé par des juges, des sheriffs, des maîtres de poste), était tout simplement le représentant d’une de ces sociétés si répandues dans les pays protestans, et qui se proposent pour but la propagation d’ouvrages de piété[1]. La loi fut immédiatement votée, et à partir de ce moment la ville supporta sans partage les frais des écoles, frais rendus fort onéreux par l’exorbitante élévation de tous les prix à cette époque. Les résultats, il est vrai, étaient

  1. Peu de personnes connaissent en France l’existence de ces sociétés, à plus forte raison leur développement et l’extension de leurs ressources; elles ont leurs budgets, leurs libraires, leurs agens, leurs colporteurs, tout un personnel enfin, et si l’on en juge par la profusion avec laquelle elles distribuent leurs produits, on ne pourra que concevoir la plus haute idée de la munificence des fidèles qui alimentent cette active propagande. Les titres des brochures ou tracts qui forment la base de ces largesses, et dont la variété est, on peut le dire, infinie, ces titres sont souvent curieux : Voix du sein des flammes, Miettes du repas de la vie, Rêves de l’homme affairé. Comment Jean Berridge découvrit sa grande erreur, etc. L’une de ces sociétés a poussé le zèle jusqu’à faire imprimer des assortimens de feuilles volantes de la taille des diverses enveloppes de lettres en usage, afin de pouvoir glisser au besoin la nourriture spirituelle dans une correspondance ordinaire; pour plus de clarté, cette nourriture elle-même est classée sous différens chefs, comfort n° 2 par exemple, c’est-à-dire feuilles traitant de consolation et de la grandeur d’enveloppes n° 2; espérance n° 4, et ainsi de suite. — La première de ces sociétés qui se fonda en Californie fut la Bible Society dès 1811), puis la Pacific Tract Society en 1850, la Young men’s Christian Association, etc.