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recourent parfois à des remèdes extrêmes en présence de certaines maladies qui bravent les efforts de la science : impuissans à atteindre la source du mal, ils s’adressent aux effets, et les font momentanément disparaître; mais la cause subsiste, le mal reparaît, le patient veut retrouver dans le même remède le soulagement temporaire qu’il pense être le gage de sa guérison, et ne s’aperçoit pas qu’au contraire, plus sont fréquentes les applications qu’il en fait, plus lui-même avance fatalement le terme de l’existence qu’il croit prolonger. Il en était ainsi de San-Francisco : le véritable mal ne gisait pas tant dans les crimes que dans les honteux abus qui leur avaient donné naissance, et en agissant comme nous l’avons vu, les comités de vigilance ne pouvaient apporter à la situation qu’un palliatif insuffisant et provisoire. A Dieu ne plaise que nous poussions la comparaison jusqu’au bout, en n’assignant à cette un passe d’autre issue que la mort du malade! Ce n’est pas quand une société est douée d’une pareille exubérance de sève, de jeunesse et de vie, qu’il est permis d’en porter un aussi sombre pronostic; mais il faut reconnaître que le péril n’aura cessé d’exister que le jour où le Californien sondera lui-même hardiment la plaie pour introduire une réforme nécessaire, sinon dans la constitution, au moins dans l’usage déplorable qui en est fait. Là est la vraie source du mal, là est pour l’avenir un danger sérieux qu’il importe de conjurer sans retard.


III.

Nous n’avons encore envisagé la société californienne que sous le point de vue du développement physique, si je puis m’exprimer ainsi; c’est celui qui frappe tout d’abord dans le tableau de cette colonisation à grande vitesse. On se sent plus embarrassé en abordant la question par le côté intellectuel. Ce brillant édifice, qu’à la rapidité de la construction on pourrait croire l’œuvre d’une fée, ne paraît plus alors qu’un monument incomplet, un échafaudage sans couronnement. Je m’explique : en dehors de la vie purement matérielle, nous connaissons certaines jouissances, nous éprouvons même certains besoins d’un ordre plus élevé, très réels pourtant, qui naissent de la civilisation, et qui exercent sur la vie morale des peuples une salutaire influence. Rien ne répond à ces besoins en Californie; le luxe lui-même est grossier, les plaisirs de l’esprit semblent inconnus, et le programme d’une éducation ne laisse rien à désirer, lorsque l’élève a parcouru le cercle élémentaire des connaissances essentielles pour figurer avec honneur derrière le comptoir d’une maison de banque. Ce n’est pas que je veuille en cela spécialement