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de l’état occupées par des professeurs de l’académie, qui n’en continuaient pas moins à donner leurs leçons, car ils sentaient vivement combien il importait à Genève de conserver un lustre scientifique et littéraire qui lui assurait l’estime des souverains étrangers. En effet, c’est ainsi que la petite république parvint à neutraliser l’action de ses nombreux ennemis. Elle trouva plus d’une fois des protecteurs soit dans le monde savant, soit chez les familles nobles ou princières dont les fils étaient venus profiter des ressources de son instruction publique. Parmi les instituteurs, les ministres, et même les négocians qu’elle fournissait en abondance aux autres pays, il se rencontrait aussi parfois des hommes d’un talent supérieur, qui, s’élevant à de hautes positions, purent la servir utilement. Cette ville hospitalière, dotée d’institutions sages et libérales, féconde en citoyens intelligens, actifs, probes et dévoués, qui, par leurs entreprises ou leurs écrits, faisaient connaître son nom de la manière la plus honorable dans toutes les contrées du monde, s’était acquis certainement des droits au respect. On ne peut nier la valeur de titres pareils, et dans plusieurs circonstances Genève leur dut son salut; elle leur dut notamment la bienveillance des souverains au congrès de Vienne, où Capodistrias put parler de la petite république comme d’un grain de musc parfumant l’Europe. A l’intérieur, l’académie genevoise rendit des services non moins précieux. Elle favorisa l’instruction populaire, cet élément indispensable de la vie républicaine. Sous son influence, on vit se répandre dans tous les rangs de la société genevoise une culture intellectuelle qui partout ailleurs n’existe guère que chez les hautes classes. On se rappelle que Rousseau dit, en parlant de son père : « Je le vois encore, vivant du travail de ses mains et nourrissant son âme des vérités les plus sublimes. Je. vois Tacite, Plutarque et Grotius mêlés devant lui avec les instrumens de son métier. »

Quoique les tendances studieuses de Genève ne soient plus tout à fait ce qu’elles étaient autrefois, ces paroles peuvent encore trouver leur application parmi les ouvriers de la fabrique d’horlogerie. Les élémens étrangers dont cette population se recrute sans cesse apportent sans doute avec eux d’autres mœurs et d’autres habitudes; mais le caractère national résiste cependant et montre encore une force d’assimilation très remarquable. Il semble que souvent l’admission à la bourgeoisie ait pour effet de transformer le candidat d’un jour à l’autre. Hier il était Allemand, Italien, Hongrois, Polonais; aujourd’hui c’est un fervent citoyen genevois. Aussi le radicalisme a-t-il commis une grave erreur en voulant détruire ce qu’il appelait des nids d’aristocratie, c’est-à-dire les hautes études, pour ne laisser debout que l’enseignement primaire. On l’a d’abord