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« Souvenez-vous (faisait-il dire à l’homme d’état) que la plus précieuse de nos ressources, c’est que nous disposons des places et de l’argent, de l’argent et des places. Or nous sommes dans une situation particulièrement favorable pour tirer de cet énergique levier toute la force qui est en lui. En répudiant et en stigmatisant comme une tradition surannée de l’aristocratie le dévouement désintéressé, en posant comme un principe dont il faut tirer gloire que l’argent est un mobile démocratique, nous avons donné au système radical un admirable point d’appui, nous avons déblayé et facilité sa marche...

« Le nerf d’un gouvernement est dans sa caisse ; les hommes, comme les animaux de basse-cour, sont toujours prêts à reconnaître pour maître celui de qui ils attendent la pâtée. Pour gouverner, il ne faudrait à la rigueur qu’une chose, une seule chose : avoir beaucoup d’argent et savoir s’en servir. Dépenser, dépenser beaucoup, dépenser encore, dépenser toujours, tout est là!...

« Un avantage accessoire d’un large emploi des fonds de l’état serait encore de rendre la place intenable pour d’autres que nous, car l’aristocratie bourgeoise et financière se croit perdue dès que son coffre ne regorge pas, ou, pour parler son langage pédantesque, dès que les services ne sont pas assurés pour six mois au moins à l’avance... »


Voilà pour les finances, voici pour le mécanisme électoral :


« Le vrai régime démocratique, tel qu’il doit être compris et pratiqué pour que le pays marche sans heurt et sans secousse, est celui où tout est disposé de manière que les élections soient en fait dans la main du gouvernement, ou, pour mieux dire, du chef du gouvernement. Dès lors tout se réduit pour celui-ci à composer convenablement sa liste de députés...

« Après avoir prélevé quelques billets de faveur pour les gens envers qui vous avez contracté des obligations que vous ne pourriez reconnaître autrement, formez le gros de votre liste d’hommes notoirement nuls au point de vue du talent et de l’instruction, habitués à ne voir que par vos yeux et à ne jurer que par votre nom !... »


Enfin le socialisme, ce danger qui, dit-on, menace surtout les gouvernemens populaires, n’est pour le radicalisme qu’une arme de plus.


« C’est lui qui a fait jusqu’ici notre force et nous a valu notre succès ; c’est lui qui est au fond de toutes les agitations, de toutes les insurrections, de toutes les révolutions radicales : il en est l’âme, le foyer; il est le grand ressort de la montre dont nous sommes, nous, le balancier régulateur...

« Le socialisme ne pourrait se passer de nous; seul et livré à lui-même, il n’a pas de chance de succès; il ne peut exister dans sa nudité, et l’on reculera toujours d’effroi devant les conséquences rigoureuses de son principe. Oui, mon cher, appelez cela un paradoxe si vous le voulez, mais j’estime que la faiblesse du socialisme vient précisément de ce qu’il a un principe et qu’il l’affiche.