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tion fut d’ouvrir les portes toutes grandes à l’envahissement du catholicisme. L’appât du développement matériel fit taire toute autre considération. L’œuvre s’exécuta sous l’empire d’une espèce de fièvre générale qui ne permettait pas au bon sens de se faire jour. Il y eut même tant de précipitation, que les intérêts administratifs furent complètement mis de côté. Au lieu d’agir en vue des avantages que l’état pouvait retirer d’une opération semblable, on ne songea qu’à la rendre promptement définitive, sans rechercher si des frais immenses ne dépasseraient pas le produit de la vente des terrains.

Quoique fort dispendieuse, cette méthode présentait, à vrai dire, certains avantages, dont le gouvernement sut tirer parti : elle permettait de réaliser tout de suite une partie des améliorations promises. On pouvait offrir au public des plans grandioses et se mettre à l’œuvre sur plusieurs points en même temps. Le peuple, voyant bouleverser les terrains avec tant d’activité, ne douta plus de l’essor merveilleux que Genève allait prendre. Bientôt s’élevèrent comme par enchantement de nouveaux quartiers mieux bâtis que les anciens, de beaux quais et plusieurs édifices publics. L’établissement des chemins de fer vint encore ajouter au prestige de cette rapide métamorphose. Ce fut de tous les côtés à la fois un épanouissement qui doublait presque l’étendue de la ville. On doit reconnaître que les vues du radicalisme étaient en harmonie avec les besoins de l’époque. Profitant de la tendance générale des esprits, le radicalisme s’efforçait d’en faire l’instrument de sa politique, et c’est dans la voie du progrès matériel qu’il voulait gagner ses titres à la reconnaissance. L’idée était ingénieuse assurément. Chez un peuple connu par son aptitude intelligente pour le commerce et l’industrie, elle avait toute chance de réussir. Aussi les résultats obtenus ne sont pas sans importance. Genève est en train de devenir une grande ville; elle offre, à l’extérieur du moins, l’aspect du bien-être et de la prospérité. Sa population s’accroît sans cesse, et les nombreuses maisons qui se construisent sur l’emplacement de ses anciens remparts seront à peine suffisantes pour la contenir. Déjà même on la voit refluer sur les communes voisines, dont elle fait de véritables faubourgs.

Malheureusement les hommes auxquels se trouve confiée la tâche de satisfaire ces aspirations, trop longtemps contenues peut-être, ne possèdent pas toutes les qualités nécessaires pour une entreprise pareille. Leur chef même, très supérieur à tous ses collègues, M. James Fazy, est un révolutionnaire plutôt encore qu’un homme d’état. Pour se soutenir au pouvoir, il continue à se servir des moyens par lesquels il s’en est emparé. L’agitation est son élément, et l’imprévu sa ressource favorite. Personne mieux que lui ne sait