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mane de faire égorger un autre brahmane pour ainsi dire sous les voûtes du temple? La voix publique accusa l’odieux Trimback-Dji d’avoir porté le coup; le bon sens public reconnut aussi que le peshwa avait dû l’ordonner. Le premier fut remis entre les mains des Anglais, qui l’emprisonnèrent à Tannah ; le second s’obstina à protester de son innocence, mais sans convaincre personne. Peu de temps après, Trimback-Dji, s’échappant de sa prison, courait organiser des bandes de Pindarries, et appelait les Mahrattes aux armes. Le peshwa niait toute participation à ces mouvemens; accumulant mensonge sur mensonge, il désavouait par une proclamation les menées de son ministre et confisquait ses biens. Pendant qu’il croyait endormir par ses ruses la vigilance des Anglais, Badji-Rao mettait en sûreté ses trésors et réparait ses forteresses. Malgré le mystère dont il entourait toutes ses démarches, la fausseté de sa conduite fut enfin prouvée pièces en main, et le gouverneur-général, assisté de son conseil, déclara que le peshwa, ayant violé tous ses engagemens, devait être lié plus étroitement par de nouveaux traités.

Victime de ses propres intrigues, le peshwa Badji-Rao ne songea plus qu’à se venger. La haine qu’il portait aux Anglais tenait du délire, mais son indécision et sa lâcheté lui conseillaient encore d’user de ménagemens. Son rêve favori était de faire assassiner M. Elphinstone dans ses promenades à cheval, ou bien de surprendre la résidence et d’y mettre tout à feu et à sang. Lorsqu’arriva en 1817 la grande fête annuelle du Dasserah[1], des corps de Pindarries, d’Arabes irréguliers, de gosaïns, mendians religieux, et de troupes régulières, occupaient les environs de Pounah. Après avoir accompli la cérémonie religieuse au temple de Parvati-Hill, situé sur une haute colline qui domine toute la plaine, le peshwa, descendant les immenses escaliers et distribuant les aumônes aux brahmanes placés à droite et à gauche, put réjouir son regard du plus beau spectacle militaire qu’eût offert cette fête depuis bien des années. Peut-être un rayon d’espoir traversa-t-il son esprit assombri, lorsqu’il reporta ses yeux sur la résidence anglaise, alors peu garnie de troupes et ressemblant à un village couché au pied de la grande ville. Le 15 novembre 1817, — un mois environ après la fête du Dasserah, — le peshwa monta à cheval et rejoignit son

  1. Elle tombe au commencement de l’automne; il a été dit déjà que les Mahrattes avaient coutume de se réunir à cette époque pour préparer leurs plans de campagne. Chaque prince mahratte faisait son Dasserah ; en 1797, le jeune Dowlat-Rao-Sindyah y sacrifia douze mille brebis. Djeswant-Rao-Holkar, dans les premières années de son élévation, rendait en cette circonstance solennelle un hommage et presque un culte public à la vieille jument qui lui avait été donnée par son tuteur, et qu’il considérait comme la source de sa fortune.