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si déjà la mer eût été mise entre lui et ses forêts natales. Enfin, troublé par ce fantôme de l’eau noire, Tchitou, au lieu de traiter avec les Anglais, alla s’enfermer dans une forteresse des monts Mahadéva, où un chef mahratte rassemblait des soldats pour continuer la résistance. A peine respirait-il dans cette retraite lointaine, qu’un détachement de troupes anglaises vint l’y relancer. Il dut fuir encore, n’emmenant avec lui que son fils et quatre de ses partisans. Bientôt il demeura seul, serré de si près, qu’il n’osait plus s’arrêter un instant, et traqué par les troupes qui le suivaient à la piste de son cheval à travers des jungles inextricables. Entraînés par l’ardeur de cette chasse, les soldats venaient de pénétrer dans un fourré, lorsqu’ils découvrirent un cheval tout sanglant, dont la selle ressemblait à celle de Tchitou, puis des ornemens, puis un cadavre sans tête, déchiré par les griffes d’un tigre. Il importait de savoir au juste si ce corps était bien celui du Pindarrie. On suivit le tigre à la trace du sang, et on vit tomber de la gueule de l’animal une tête qui fut apportée au camp et reconnue pour être celle de Tchitou. Ainsi périt, au milieu des jungles, ce Pindarrie fameux, qui, après avoir été longtemps le fléau de ces contrées, ne put jamais comprendre qu’il eût et espérer aucun pardon, et fut dévoré par un tigre pour n’avoir pas osé se livrer à des Européens.

La guerre que les Anglais firent aux Pindarries leur donna l’occasion de connaître et d’explorer des régions boisées et montagneuses sur lesquelles ils n’avaient encore que des notions imparfaites. Il leur fallut fouiller ces repaires, d’un difficile accès, où les rebelles croyaient que jamais le bras de l’Europe ne pourrait les atteindre. La sécurité des Pindarries était d’autant plus grande, que les princes indigènes avaient toujours échoué dans leurs projets de les détruire. Dowlat-Rao-Sindyah avait eu beaucoup à se plaindre des excès commis par ces brigands, qui se disaient ses serviteurs. Le plus puissant d’entre eux, Karrim-Khan, élevé au rang de nabab, possédait de riches districts; il avait quelques petits canons, une infanterie régulière, douze cents cavaliers d’élite et environ dix mille irréguliers. Après la guerre contre les Anglais, Dowlat-Rao-Sindyah s’empara par surprise de ce chef redoutable, dont le camp fut pillé. Transporté dans la citadelle de Gwalior, Karrim-Khan dut y subir une détention de quatre années; mais tandis que les soldats du mahârâdja, gorgés de butin, célébraient hautement l’habile trahison de leur maître, la vieille mère du Pindarrie, instruite de ce qui venait de se passer, fit charger sur des bêtes de somme tous ses joyaux,