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suite d’une altercation violente survenue à propos d’un fief que chacun voulait concéder à l’un de ses favoris, Dowlat-Rao-Sindyah donna l’ordre d’arrêter son beau-père. Celui-ci résista avec énergie, et dans le conflit qui s’ensuivit, il fut percé d’un coup de lance. Ainsi périt de la mort d’une bête fauve ce forcené couvert de crimes, qui avait fait mourir tant d’innocens dans les plus cruels supplices[1].

La fin tragique de Shirzie-Rao nous conduit à dire quelques mots de ces chefs de partisans connus sous le nom de Pindarries, avec lesquels sympathisait le beau-père de Dowlat-Rao. Après avoir ravagé l’Inde en tous sens, les Pindarries furent les derniers à se soumettre. Ils avaient fait leur apparition à l’époque où les Mahrattes commençaient à envahir l’Hindostan, vers le milieu du XVIIIe siècle. Ils s’associèrent aux armées de Sindyah et de Holkar, et combattirent contre les Mogols, bien que leurs chefs fussent musulmans. Quant aux soldats, ils appartenaient à toutes les religions, à toutes les races; un très-petit nombre d’entre eux portaient des fusils à mèche, le reste marchait la lance au poing, le bouclier sur le dos. Lorsqu’ils avaient ramassé un butin considérable, le souverain au service duquel ils étaient employés cernait leur camp et les forçait à rendre gorge. Cependant il y eut des chefs qui restèrent fidèles pendant plusieurs générations aux familles dont ils suivaient les bannières. Durant la campagne de 1804, on les vit presque tous accourir dans l’Hindostan et se rallier autour de Dowlat-Rao-Sindyah. Le beau-père du mahârâdja, Shirzie-Rao, sympathisait, nous l’avons dit, avec ces hommes indomptés, et leur fit conférer des titres honorifiques. Ce fut à sa recommandation qu’un de leurs chefs, Mahomet-Kanad-Khan, devenu célèbre sous le nom de Tchitou, fut élevé au rang de nabab.

Tchitou, fait prisonnier dans son enfance, avait été adopté par l’un des plus puissans Pindarries. Né dans une famille obscure, il parvint à régner en maître absolu dans le camp de son bienfaiteur, tout en laissant au fils de celui-ci la direction apparente des affaires civiles et militaires. Les Pindarries en effet possédaient de véritables états, peu étendus à la vérité, mais où se trouvaient des villes et des forteresses sur lesquelles flottait la bannière d’or, marque distinctive de leur autorité. Tchitou avait établi sa résidence au milieu

  1. Voici une petite anecdote racontée par le commandant Th. Bauer Broughton, qui montre jusqu’où allait le cynisme féroce de Shirzie-Rao : » Il m’envoya un jour une montre dont le résident anglais lui avait fait présent la veille, et dont le ressort s’était brisé par la négligence d’un domestique. Il me priait de faire raccommoder cette montre, ajoutant que, si je le jugeais convenable, il m’enverrait le nez et les oreilles du domestique pour le punir de la peine qu’il m’occasionnait. »