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des athlètes se livrent à des exercices de gymnastique ; là, des mimes et des jongleurs amusent par leurs grimaces et leurs tours d’adresse les femmes et les enfans. Plus loin retentit la musique criarde au son de laquelle les bayadères exécutent leurs danses de caractère. Ailleurs des soldats, accroupis près de leurs armes en faisceau, rendent aux étendards de leurs bataillons des hommages presque divins[1]. Commerce, jeux, plaisirs, cérémonies religieuses, tout se trouve réuni dans cette ville improvisée, qui s’étend au bord d’un fleuve ou se groupe au pied d’une montagne. On dirait une horde de l’Asie qui émigré, se retirant à petites journées et en bon ordre devant une invasion étrangère. Quelque part qu’elle aille, cette armée foule toujours le sol de l’Inde ; elle n’a point l’ardeur des conquêtes, l’enthousiasme de la gloire. Brave et sujette à des paniques, insouciante, docile ou indisciplinée, selon l’impression du moment, prompte à se désorganiser et à se reformer après un échec, elle se remet à vivre de sa vie habituelle à chaque halte. Où sera-t-elle demain ? où était-elle hier ? Peu lui importe. Elle marche à la suite de son mahârâdja, qui se montre à elle assis sur un éléphant, à l’ombre du parasol de soie, insigne de la royauté.

Mais l’Inde est le pays des contrastes : la simplicité la plus primitive s’y rencontre à côté de la pompe la plus orientale ; la grandeur y coudoie la misère. Il s’en fallait de beaucoup qu’au temps de sa puissance le mahârâdja Dowlat-Rao ressemblât à Darius, traînant sa cour et ses richesses dans ses lointaines et malheureuses expéditions. Dans un enclos, long de cinquante mètres et large de vingt-cinq, fermé par des toiles de coton et divisé en divers quartiers, se dressaient les tentes du mahârâdja Sindyah, celles de ses femmes et celles où il tenait ses audiences. Autour de cette résidence royale, d’assez mesquine apparence, campaient les gardes du corps (khasseh-pagah). La mauvaise odeur qu’exhale, sous les chaudes latitudes, une réunion considérable de chevaux, de chameaux et d’éléphans, pénétrait jusque sous les tentes du mahârâdja, que ne

  1. A propos des étendards, on lit dans l’ouvrage curieux de Th. Bauer Broughton, qui fut commandant de l’escorte du résident anglais à la cour de Sindyah après la soumission de ce prince, l’anecdote que voici : « Un jour, passant devant le camp des cipayes à la solde de Sindyah, je fus surpris de voir une multitude d’étendards tricolores plantés sur la même ligne ; une multitude de petites lampes brûlaient devant ces drapeaux ; des hommes assis autour battaient du tambour ou sonnaient de la trompette. C’est une espèce de culte que, suivant leurs anciennes coutumes, les soldats natifs de l’Inde rendent à leurs étendards. Je demandai par quel singulier rapprochement ces drapeaux étaient rouges, bleus et blancs, c’est-à-dire aux couleurs de la révolution française. On me répondit que c’étaient les drapeaux d’un corps de haligots (cipayes) jadis attaché au service de la France. Ils les avaient reçus sous le gouvernement de M. Perron, et ne les avaient pas quittés depuis. »