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de ce bazar que le biny-wala (quartier-maître-général) proclame l’ordre de la marche pour le jour suivant. L’infanterie part la première et avant l’aurore, la cavalerie suit quelques heures plus tard, après que les chevaux ont mangé, et l’artillerie vient la dernière. Enfin paraît le souverain, monté sur un éléphant, entouré de ses étendards et de ses cavaliers d’élite, et prélevant sur les villages qu’il traverse des contributions en argent, sans compter les corvées que les habitans ont à fournir.

Cette armée, qui chemine avec une apparence d’ordre, s’annonce de loin par des tourbillons de poussière, des hennissemens de chevaux et un tumulte de voix confuses auquel se mêle le gémissement guttural des chameaux fatigués. Au milieu et à la suite de ces divisions d’hommes armés, cavaliers, fantassins, cipayes réguliers, flanqueurs indisciplinés, voyagent aussi les femmes et les enfans à pied, à cheval, en chariot : population gênante, que les armées asiatiques traînent après elles dans les plus lointaines campagnes. Les chefs mahrattes caracolent fièrement sur leurs magnifiques chevaux, nés d’étalons du Dekkan et de jumens arabes, animaux d’un grand prix et doués des qualités les plus précieuses. Les officiers d’un rang inférieur chevauchent humblement, eux, leurs femmes et leurs serviteurs, sur de petits coursiers de montagne nommés tathous, bêtes solides, mais vicieuses, toujours trop chargées et jamais lasses, que l’on voit se battre entre elles à toute occasion, comme pour se venger sur un compagnon plus faible des mauvais traitemens de leurs maîtres. Parmi les petites carrioles qui courent au trot pleines de bagages et de femmes, roulent avec une certaine majesté les raths, ou grands chars à quatre roues, qui portent les épouses légitimes des grands, ou bien les banquiers poursuivant à travers les hasards de la guerre leurs spéculations usuraires, ou bien encore les bayadères qui, par leurs danses folles, charment la tristesse des vaincus et célèbrent le triomphe des vainqueurs. Du reste, marchands, banquiers, barbiers, danseuses, industriels, petits et grands, tout ce qui ne porte pas les armes paie une redevance au souverain. Les filous eux-mêmes, les petits voleurs, qui se glissent partout où il y a foule, sont soumis à la taxe; aussi travaillent-ils avec une ardeur infatigable.

Dès que le camp est établi, dès que la cavalerie, seul corps chargé de ce service, a fourni ses vedettes et ses piquets, chacun court où ses affaires l’appellent. Le bazar s’anime; des enseignes de toutes couleurs se balancent devant les tentes des marchands. Les faquirs musulmans et les gosaïns hindous s’en vont de boutique en boutique, demandant l’aumône au nom du prophète ou chantant à tue-tête des stances en l’honneur de Vichnou. Ici, dans un vaste enclos,