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modérés, les progressistes avaient disparu dans la confusion et ne s’étaient point relevés de leur défaite de 1856. C’est là, on le sait, ce qui inspirait au général O’Donnell la pensée d’élever un nouveau drapeau dans la politique au milieu des anciens partis décomposés et dissous. Puisque les deux grandes opinions constitutionnelles qui s’étaient jusque-là partagé l’Espagne succombaient alternativement sous le poids de leurs divisions et de leur impuissance, le moment n’était-il pas venu d’essayer une transaction, de faire appel à tous les hommes sans distinction d’origine et de rallier tous les esprits sincères, toutes les bonnes volontés à un système politique assez conservateur pour ne point effrayer les modérés, assez libéral pour attirer vers le gouvernement la partie la plus notable des progressistes ? Le programme était séduisant ; bien mieux, il répondait à une nécessité de la situation de l’Espagne ! Six mois se sont écoulés ; qu’est-il résulté de cette tentative ? À parler franchement, c’est une expérience qui continue à travers des incidens et des luttes qui n’ont encore rien d’absolument décisif. Sans méconnaître les grands efforts qu’a faits le général O’Donnell pour créer une situation nouvelle, pour rapprocher les hommes comme il en avait l’ambition, on peut dire qu’il est obligé de lutter constamment pour défendre un terrain toujours près de se dérober sous ses pieds. L’union libérale est un mot dans les polémiques, ce n’est pas un parti.

C’est qu’en effet le cabinet du général O’Donnell a rencontré et devait rencontrer toutes les difficultés inhérentes à la réalisation d’une semblable pensée : hostilités des fractions dissidentes et persistantes des anciens partis, oppositions personnelles, antagonismes permanens, nécessité de former une majorité nouvelle avec de vieux élémens. Tant qu’il ne s’est agi que de distribuer des emplois et d’appeler des hommes de toute origine au partage fraternel du budget, la chose n’était point malaisée. Malheureusement aussi c’est là un système de combinaisons personnelles assez fragile, d’autant plus que ceux qui gagnent des fonctions à la loterie des crises ministérielles ne perdent jamais tout espoir de les conserver sous une administration nouvelle. Le plus difficile était de fonder une situation et une politique sur la confusion des opinions. C’est ce que le ministère a tenté depuis qu’il existe. La première loi pour gouverner dans les conditions d’un régime constitutionnel, c’est d’avoir une politique et une majorité. Le cabinet espagnol s’est occupé tout d’abord d’avoir une majorité : il a fait des promotions nombreuses dans le sénat ; il a renouvelé le congrès par des élections générales, sans négliger d’employer tous ces moyens d’influence qu’aucun ministère ne s’interdit au-delà des Pyrénées. C’est dans ces conditions que le cabinet du général O’Donnell s’est présenté le mois dernier devant le parlement pour lui exposer sa politique par le discours de la reine, et pour lui demander la sanction de la pensée qu’il a portée au pouvoir. Le parlement ne s’est nullement refusé à ce que le ministère réclamait de lui ; il a voté une adresse favorable, il a écarté les propositions hostiles. En un mot, cette première entrevue du cabinet et des chambres a été des plus pacifiques. C’est là le fait matériel. Que peut-on cependant augurer de cette situation ?

Que l’opposition soit impuissante dans le congrès comme dans le sénat, cela n’est pas douteux. Dès le lendemain des élections, on avait pu constater ce résultat, que les premiers débats du parlement ont mis en pleine lumière.