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la victoire, sur les faubourgs de Pounah pour piller. Leur chef ne pouvait les contenir ; mais Djeswant, qui avait préservé jadis de leurs violences la ville d’Ouddjein, fit tirer sur eux plusieurs coups de canon : il voulait à tout prix qu’on respectât la capitale de l’empire des Mahrattes. Arrêtés par la mitraille, les Patans essayèrent encore d’enfreindre les défenses de Djeswant-Rao ; celui-ci, quoique blessé et couvert de sang, se jeta au galop à leur poursuite et en tua deux ou trois de sa main. Après avoir accompli cet acte de justice, le prince victorieux bandait lui-même ses plaies, lorsque Amir-Khan, dont le courage n’avait pas brillé le matin, vint le féliciter sur le succès de la journée. « Frère, répliqua en riant Djeswant-Rao, vous avez été heureux d’échapper ! — Certes oui ! dit Amir-Khan d’un air sérieux, car la plume qui flottait entre les deux oreilles de mon cheval a été enlevée par un boulet de canon. — Vraiment ! s’écria en éclatant de rire le rusé Mahratte, vous êtes en vérité bien heureux, car le boulet n’a pas même effleuré les oreilles de votre monture, bien qu’il ait enlevé la plume placée sur la têtière[1]. » Ce jour-là, Djeswant-Rao-Holkar avait eu quelque chose de la bravoure chevaleresque et de l’esprit gascon de Henri IV. Il affecta pendant quelques semaines une modération à laquelle les vaincus étaient loin de s’attendre, et conserva une dignité de caractère que lui inspirait peut-être la présence auprès de Pounah du résident anglais, le colonel Close. Les princes indiens aiment à se montrer aux Européens sous les dehors les plus propres à leur concilier la bienveillance et l’estime de ceux-ci ; c’est comme un hommage involontaire qu’ils rendent à notre civilisation.

Cependant Djeswant-Rao-Holkar se trouvait doublement le maître dans la capitale de l’empire mahratte par la victoire qu’il venait de remporter et par la fuite du peshwa. Un peu embarrassé de sa situation et ne sachant comment amener à ses fins un gouvernement qui avait disparu, il prit le parti d’inviter le résident anglais à venir lui rendre visite. Celui-ci venait de déployer au village de Sangam, où était établie la résidence, le pavillon britannique, afin de soustraire ses nationaux aux dangers du pillage ; vers la fin de l’action, la cavalerie des deux armées s’était battue tout près de ce lieu, qui devait rester neutre et inviolable. Le résident anglais ne jugea pas prudent de refuser l’invitation de Djeswant-Rao[2] ; il trouva le conquérant sous une petite tente, dans la boue jusqu’à la cheville, blessé d’un coup de lance et la tête fendue d’un coup de sabre qu’il

  1. Voyez sir John Malcolm’s, Memoirs on Central India.
  2. Ce sont les propres paroles du capitaine Grant Duff ; la même pensée se trouve exprimée dans l’Histoire populaire de l’Inde britannique de M. W. Cooke Taylor. Les détails qui suivent sont empruntés à ces deux auteurs ; nous les reproduisons avec exactitude, parce qu’ils peignent au naturel le prince indien au lendemain de sa victoire.