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conduite portait l’empreinte d’un esprit indécis, capricieux, détruisant par un retour subit les bons effets d’une résolution habile ou généreuse. Après avoir rendu la liberté à Balloba-Tantya pour désarmer l’insurrection commandée par le brahmane Lackwa-Dada et s’être servi de sa médiation pour entrer en arrangement avec les princesses veuves, il le fit enfermer de nouveau dans la citadelle d’Ahmednagar. Tantya mourut peu de temps après, et le féroce Shirzie-Rao-Ghatgay, sortant à son tour de sa prison, pareil à un tigre furieux qui rompt les barreaux de sa cage, recommença à épouvanter la capitale par ses atrocités. Nana-Farnéwiz venait de mourir, « emportant avec lui tout ce qui restait de sagesse et de modération dans le gouvernement mahratte[1]. » Devenu plus ombrageux et plus vindicatif au milieu des complications de toute sorte qui le tenaient dans de perpétuelles alarmes, le peshwa Badji-Bao accusa de conspiration les anciens partisans du chancelier, pour avoir un prétexte de les emprisonner. Emporté par l’ambition, Sindyah s’associait à ces honteuses manœuvres, dans l’espoir de se saisir des terres enlevées aux prétendus coupables. Ces deux hommes se haïssaient et se méprisaient l’un l’autre, mais ils se redoutaient aussi. Pour tenir le mahârâdja en échec, Badji-Rao comptait sur le mauvais état des affaires de celui-ci dans l’Hindostan, sur les succès de Djeswant-Rao-Holkar, et à l’occasion sur les troupes de la compagnie anglaise, qui agissaient déjà librement sur le territoire mahratte[2]. De son côté, Dowlat-Rao-Sindyah, sans ajouter peut-être une grande foi aux protestations de dévouement et de respect dont le peshwa l’accablait, voyait avec la satisfaction de l’orgueil un brahmane investi de l’autorité suprême se courber devant lui ; mais il savait aussi que ce brahmane ne pardonnait jamais à ses rivaux, et qu’il les traitait en ennemis dès qu’il en trouvait l’occasion. Après avoir désiré l’éloignement de Dowlat-Rao-Sindyah puissant et respecté de tous, le peshwa souffrait moins impatiemment la présence de ce prince, dont l’autorité allait s’affaiblissant désormais ; d’ailleurs il le surveillait plus facilement de près que de loin, et lui suggérait une foule d’idées contraires pour l’empêcher de suivre ses propres inspirations.

  1. Ce sont les propres paroles du résident anglais, le colonel Palmer, citées par l’auteur de l’Histoire des Mahrattes. Le plan de ce travail ne nous permettant pas de nous étendre sur ce personnage remarquable, nous renvoyons le lecteur aux intéressans mémoires publiés par le lieutenant-colonel Briggs, au tome II, partie 1re des Transactions of the Royal Asiatic Society. On peut résumer ainsi le caractère de Nana-Farnéwiz : il fut éclairé pour un païen, sincère pour un brahmane, et consciencieux pour un Hindou.
  2. A l’occasion des excès commis par un rebelle (Dhondia-Wang) qui avait pillé les territoires, acquis par la compagnie dans le Carnatic et aussi ceux du peshwa, les Anglais obtinrent de celui-ci, trop faible alors pour réprimer les brigandages des insurgés, la permission de faire marcher leurs troupes, dans la province même de Pounah et d’y rétablir l’ordre.