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mortel. Le terrain fut débattu pied à pied par les deux rusés Mahrattes, brahmanes tous les deux et rompus aux manœuvres subtiles de la diplomatie asiatique.

L’empire mahratte se trouvait alors dans un tel état de confusion qu’il n’était plus possible de lever ces armées naguère si formidables devant lesquelles tremblaient les plus vieux royaumes de l’Inde. Entre les deux plus puissantes familles de la confédération, jadis étroitement unies, la rupture était complète. Djeswant-Rao, profitant de l’absence du jeune mahârâdja, toujours retenu à Pounah, se vengeait du meurtre de Molhar-Rao en portant le fer et la flamme dans les provinces de Dowlat-Sindyah voisines des états de Holkar. Il ravageait aussi sans pitié les propres districts du peshwa, pour le punir d’avoir fait mettre en pièces par un éléphant son jeune frère Witto-Dji. Amir-Khan, allié de Djeswant-Rao, ne pouvait arrêter les violences de ses Afghans, qui incendiaient les villes et massacraient les habitans. Tandis que ces guerres horribles désolaient les provinces de Kandeish et de Malwa, des troubles éclataient aussi dans l’Hindostan. Le brahmane Lakwa-Dada, — le même qui par sa fidélité et son courage avait jadis conservé à Madha-Dji-Sindyah la ville d’Agra, assiégée par les Patans rebelles, — devenu suspect à cause de son attachement à l’ancien ministre disgracié[1], se tourna du côté des mécontens et réunit une armée considérable avec laquelle il se mit à ruiner les environs mêmes de la capitale des états de Dowlat-Rao. Enfin le parti des princesses veuves, — bhaïes, — grossi par des troupes de cavaliers en quête d’aventures, pillait les districts que le jeune mahârâdja possédait entre la Kistna et le Godavery. Les déprédations de ces insurgés s’étendaient jusqu’aux portes de Pounah. Dowlat-Hao-Sindyah, insulté dans le midi par cette rébellion, dont l’honneur outragé des veuves de son grand-oncle n’était que le prétexte, menacé au cœur de ses états par la désertion, les révoltes et les attaques réitérées des partisans de Djeswant-Rao-Holkar, — Dowlat-Rao-Sindyah, hier encore si redouté et si fier de son titre de mahârâdja, ne savait quel parti prendre. N’ayant pas même assez de troupes pour réprimer les tentatives de la faction des bhaïes, il recevait coup sur coup de l’Hindostan des dépêches qui lui apportaient les plus alarmantes nouvelles. Enfin les bhaïes, que les mécontens poussaient à une résistance opiniâtre, donnaient à entendre que le jeune mahârâdja eût à subordonner son autorité à leurs volontés souveraines.

En quelques années, Dowlat-Rao-Sindyah avait perdu tout le prestige de son nom, et sa puissance se trouvait partout ébranlée ; sa

  1. Il tenait au parti de Balloba-Tantya, ministre de Dowlat-Rao-Sindyah, déposé et emprisonné par l’influence de Shirzie-Rao-Ghatgay, beau-père du mahârâdja.