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Djeswant-Rao venait de recouvrer sa liberté, mais il était encore errant et sans appui. Son tuteur, qu’il alla trouver secrètement dans une petite ville, située à moins de dix lieues de la capitale des états de Holkar, la florissante cité de Mhysir, ne put lui offrir un asile sous son toit ; il le congédia en lui donnant une jument de pure race déjà hors d’âge et une somme d’argent si faible qu’elle ressemblait à une aumône. Se tournant alors du côté de la province de Malwa, Djeswant-Rao s’enfonça dans les jungles, et fit la rencontre d’un chef de la tribu des Bheels, qui vivait caché dans d’impénétrables fourrés, et exerçait sur une assez grande échelle la profession de brigand. Ce Bheel devait plus tard commander des bandes nombreuses, rançonner une vaste étendue de pays tout le long des monts Vindhyas, puis enfin aider les Anglais à réprimer les brigandages dont il avait été l’organisateur. Alors, obscur et réduit à la possession d’une forêt hantée par les tigres, il accueillit Djeswant-Rao, qui trouvait enfin auprès d’un montagnard barbare l’hospitalité que lui avaient refusée ses alliés et même ses proches.

Ce fut dans ces solitudes que Djeswant-Rao apprit la mort affreuse de son jeune frère Witto-Dji, dont il était séparé depuis les premiers jours de sa fuite. Witto-Dji, après avoir échappé à l’attaque perfide des troupes de Sindyah contre Molhar-Rao, s’était jeté dans les montagnes du Dekkan. Toute la partie méridionale de l’empire mahratte, livrée à l’anarchie, se voyait en proie aux déprédations des bandes plus ou moins nombreuses qui dévastaient le pays. Witto-Dji s’était rallié à l’une de ces troupes de malcontens qui, en haine du peshwa et de Dowlat-Sindyah, parcouraient la contrée le sabre au poing. De pareilles incursions jetaient le désordre autour de la capitale ; elles attestaient la dissolution de cette confédération naguère si unie et dont les liens allaient se rompre pour toujours. Le peshwa Badji-Rao, qui avait eu tant à souffrir des allures indépendantes et hautaines de Sindyah, commençait à s’irriter contre tous les chefs d’une féodalité impossible à maintenir dans le devoir. Il s’arrêtait de plus en plus à la pensée de dompter par les châtimens et les supplices ces insurrections toujours renaissantes qui entravaient la marche du gouvernement. Le parti de cavaliers auquel Witto-Dji venait de se rallier ayant été battu et mis en fuite, le jeune prince tomba aux mains de Badji-Râo. Celui-ci, sans égards pour ses malheurs, ne tenant compte ni de sa jeunesse, ni des services éminens rendus par Touka-Dji, son père, à l’empire mahratte, condamna Witto-Dji à une mort ignominieuse et barbare. Il le fit lier aux pieds d’un éléphant, qui le mit en pièces et l’écrasa dans le milieu d’une rue, sous les yeux de la population émue et terrifiée. On affirme que le peshwa assista à ce spectacle sanglant, et