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de le remettre en possession de sa couronne ![1]. En désespoir de cause, il fit appel aux Mahrattes, qui lui vendirent leurs services au prix de son indépendance. Ballotté entre ses propres sujets rebelles et ses dangereux auxiliaires, le faible monarque avait eu les yeux percés à coups de poignard par le cruel Gholam-Kader. Privé de la vue, Shah-Alam restait au pouvoir de la grande famille de Sindyah, représentée par le jeune Dowlat-Rao, petit-neveu du célèbre Madha-Dji, mort à Pounah en 1794. À cette époque, il n’existait pas dans toute l’Inde un seul prince hindou ou musulman dont la puissance pût être comparée à celle de Dowlat-Rao. Maître d’une armée nombreuse et bien disciplinée, il occupait le premier rang parmi les chefs de la confédération mahratte. D’une part, il tenait sous sa main la personne même du Grand-Mogol, accablé sous le poids des malheurs ; de l’autre, il exerçait une influence considérable sur les affaires du gouvernement de Pounah.

En 1797, ce gouvernement était aux mains de Badji-Rao et de Nana-Farnéwiz, dont les dissensions semblaient apaisées pour la seconde fois. Les deux ennemis venaient de se réconcilier en se partageant le pouvoir : le premier était reconnu peshwa ; le second continuait de remplir la charge de ministre ou plutôt de grand chancelier. Il ne faut pas perdre de vue que le roi légitime des Mahrattes, le râdja, vivait toujours, relégué dans la forteresse de Satara, à l’état de souverain nominal. Nana-Farnéwiz essayait donc de prendre en face de Badji-Rao le rôle d’un ministre à moitié usurpateur, que celui-ci s’arrogeait, à l’exemple des peshwas ses devanciers, vis-à-vis des princes de la maison de Siva-Dji, fondateur de l’indépendance mahratte. La nation adoptait cette double anomalie : elle honorait et respectait son roi comme une relique vivante ; elle acclamait les peshwas comme les véritables dépositaires de l’autorité, et s’habituait à voir le maniement des affaires confié à l’habile et clairvoyant chancelier, qui comprenait parfaitement les intérêts de la confédération. Le seul tort de Nana-Farnéwiz, c’était de se croire indispensable, et de penser que la fortune du pays dépendait de sa présence à la tête du gouvernement, Pour y rester, il avait dû flatter l’amour-propre, déjà excessif, du jeune Dowlat-Rao-Sindyah, et lui promettre une augmentation de territoire. Le peshwa Badji-Rao, menacé un

  1. L’auteur justement estimé d’une histoire populaire de l’Inde anglaise (A popular History of Britisk India), M. W. Cooke Taylor, dit en propres termes : « Shah-Alam devint impatient d’être replacé sur le trône de Dehli, et il pressa les Anglais d’accomplir la promesse qu’ils avaient faite de l’assister à cet effet. Ses requêtes et ses remontrances étant méprisées, il entra en alliance avec les Mahrattes… » D’après ce passage, on a lieu d’être surpris que d’autres historiens reprochent au sultan d’avoir abandonné ses bienfaiteurs pour se jeter entre les bras des Mahrattes.