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peine écoulées, et les travaux des nouvelles constructions n’étaient point terminés, que le lugubre cri d’alarme retentissait encore, et pour la troisième fois les flammes, avivées par un vent violent, anéantissaient le cœur de la cité. Il semblait que chaque désastre dût surpasser le précédent ; celui-ci se traduisait par un chiffre de 25 millions engloutis dans le foyer dévorant. Enfin, le 17 septembre de la même année, un quatrième incendie réduisait cent vingt-cinq maisons en cendres, et laissait sans abri près du tiers de la population.

En moins de neuf mois, la ville à quatre reprises avait été consumée de près de moitié. La nature des constructions, l’incurie des habitans, suffisaient à expliquer cette fatalité persistante ; mais il est rare qu’en pareil cas l’opinion publique n’attribue pas à la malveillance des malheurs aussi répétés. Il est certain que si les nombreux malfaiteurs dont San-Francisco était infesté n’avaient pas allumé l’incendie, au moins ils mettaient chaque fois largement à profit le désordre et la confusion qui en résultaient : les maisons étaient forcées et pillées ; les biens sauvés du feu et amoncelés sur la voie publique disparaissaient. Bref, à tort ou à raison, le mot d’incendiaire était dans toutes les bouches, et, bien que nul n’eût pu être pris en flagrant délit, la voix populaire ne s’en prononçait pas moins hautement. Lorsque revint en 1851 la date néfaste de l’incendie du 4 mai 1850, de vagues rumeurs circulèrent dans le peuple, prédisant à cet anniversaire une redoutable commémoration ; chacun avait passé la journée dans une anxiété fébrile, mais rien n’était survenu, et l’on commençait à espérer que la tranquillité dont on jouissait depuis sept mois ne serait pas troublée de nouveau. La soirée avait été également calme, les dernières lumières s’étaient éteintes, les derniers passans traversaient les rues désertes, lorsque le funeste cri, que depuis douze heures chacun entendait instinctivement bruire à ses oreilles, retentit avec une sinistre réalité au milieu du silence de la nuit. En quelques secondés, toute la population fut sur pied ; le cinquième feu, qui par l’effroyable étendue de ses ravages devait laisser les autres loin derrière lui, venait de commencer dans un étroit magasin de peinture situé sur la place, principale. Le navrant spectacle d’un incendie de nuit est de ceux que l’on n’oublie pas lorsqu’une fois on en a été témoin : ces fenêtres béantes, éclairées par les rouges lueurs du dedans, ces monstrueux jets de flamme qui en sortent, et semblent doués de vie, tant ils se tordent avec intelligence vers la pâture qui leur est offerte, l’incessante et caractéristique crépitation de l’impitoyable élément, le lugubre fracas des murs qui s’écroulent, sont autant de souvenirs qui restent ineffaçablement gravés dans l’esprit. Mais à quels incendies