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dit l’Intimé. Les huissiers californiens sont d’une autre humeur ; le nôtre abandonna son writ, saisit son revolver et rendit balle pour balle, si bien que le dénoûment conduisit les deux parties à l’hôpital.

De telles occurrences étaient fréquentes, et parfois l’affaire prenait les proportions d’une véritable bataille, car les squatters opéraient en grand lorsque l’occasion s’en présentait. Dans la petite ville de Sacramento, une nombreuse troupe d’entre eux avait résisté à l’exécution des jugemens prononcés par les tribunaux ; les meneurs ayant été incarcérés, la bande entière se rendit à la prison pour les remettre en liberté. Toutes les autorités municipales l’y attendaient ; le combat s’engagea à coups de rifles et de revolvers, plusieurs victimes tombèrent de part et d’autre mortellement atteintes, et le maire lui-même fut grièvement blessé. À chaque instant se renouvelaient ces déplorables scènes ; nul n’était à l’abri de ces violences, pas plus l’ouvrier dans sa chétive cabane que le riche propriétaire de vastes terrains, car l’audace des squatters ne pouvait que croître avec l’impunité ; ils en étaient venus à menacer ouvertement d’assassinat quiconque essayait de porter atteinte à leur prétendu droit, et souvent l’exécution suivait de près la menace. La chose finit par prendre une telle gravité, que l’opinion s’en émut sérieusement ; l’impuissance de l’autorité n’étant que trop démontrée, les habitans résolurent de se protéger, eux-mêmes dans un meeting où furent posées les bases d’une « association pour la protection de la propriété et le maintien de l’ordre. » Dès la première séance, plus d’un millier de membres s’inscrivirent sur les listes. L’efficacité de cette police imposante ne tarda pas à se faire sentir, et la propriété saint-franciscaine put enfin être sauvegardée. Toutefois, même aujourd’hui, il n’est pas un coin de la ville où ne se trouvent de nombreux terrains dont les possesseurs n’ont d’autres droits que les squatter’s titles dont nous venons de parler.

Nous sommes en France grands admirateurs du principe d’association ; les théories qu’il a inspirées ont toujours rencontré chez nous de nombreux adeptes, mais à la condition de ne jamais quitter leur domaine pour envahir celui de la pratique. Le véritable Américain, le Yankee militant, nous ressemble assez peu ; si la théorie ne le préoccupe guère, c’est qu’il est éminemment un homme d’action, ce qui vaut mieux, et il supplée ainsi la plupart du temps au défaut d’une initiative gouvernementale dont sa nature s’accommoderait mal. L’affaire des squatters vient de nous en montrer un exemple ; il en est un autre qui mérite d’autant plus de trouver ici sa place qu’il a exercé une influence capitale sur les destinées de San-Francisco. Il n’est personne qui ne se souvienne des terribles incendies dont, à tant de reprises différentes, les journaux firent mention dans les