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15 pour 100 par mois, payable d’avance ; en 1856, un intérêt mensuel de 5 pour 100 n’avait encore rien qui étonnât. Des spéculations excessives avaient seules pu amener cette anomalie, qui eut forcément sa part d’influence dans les crises dont nous venons de parler. L’Union du reste est la terre classique des faillites et des banqueroutes ; mais en même temps nulle part la chose n’est prise avec autant de philosophie, et dès le lendemain de la débâcle il semble que chaque perdant ait oublié son malheur pour ne songer qu’à recommencer une nouvelle fortune, tâche qui n’effraie personne aux États-Unis.


III

On ne peut tracer le tableau des premières années de San-Francisco sans dire au prix de quelles épreuves et dans quelles conditions administratives la ville se créait et se transformait ainsi avec une rapidité féerique. La grande crainte de l’Américain est d’être trop gouverné, et ce que son gouvernement redoute le plus est de trop se faire sentir ; sur ce point, la capitale de la Californie est certes la cité la plus littéralement et la plus absolument abandonnée à elle-même qui soit au monde. À la vérité, il serait injuste d’en faire l’objet d’un reproche général. Chez nous, le pouvoir est l’agent indispensable de tous les travaux d’utilité publique, et son intervention peut seule régulariser l’emploi des sommes que l’on y consacre. Chez l’Américain, cet argent sort directement de la poche de chacun pour se transformer en quais, en monumens utiles, en améliorations de tout genre. Il y avait pourtant à San-Francisco une autorité municipale, un maire, un conseil d’aldermen ; mais la ville se créait en dehors de leur action ; ce qui était un véritable bonheur pour les administrés, car la naissante population de Californie n’ayant jamais professé qu’un culte assez tiède pour la vertu du désintéressement, l’on n’y pouvait compter sur une probité bien stricte de la part d’une magistrature recrutée dans des rangs aussi mélangés, et élue à peu près au hasard par le vote aveugle de la multitude. Toutefois le résultat en ce sens dépassa toute prévision. S’enrichir devint bientôt le seul souci des membres de la municipalité, et pour atteindre ce but, tous les moyens étaient bons : ainsi, le papier émis par la ville n’ayant pas tardé à tomber de 70 pour 100, l’administration faisait rentrer les impôts en numéraire, qu’elle avait soin d’échanger au pair contre ce papier avant de verser au trésor ; la législature de l’état dut intervenir pour faire cesser ce scandaleux trafic, en défendant à tout officier municipal d’acheter de ces titres. Des concussions également éhontées étaient celles auxquelles donnaient