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arrivant épuisés au terme de leur long voyage, ces malheureux eussent été massacrés en détail par l’ennemi exaspéré, que Stockton réussit à détourner. Certes, à sa place, bien peu de chefs d’escadre auraient songé à autre chose qu’à occuper la côte, et bien peu surtout se fussent résolus à abandonner leurs bâtimens pour pénétrer dans l’intérieur, sans autre force régulière que les équipages des navires.

En somme, en janvier 1847, Stockton quittait son commandement pour rentrer aux États-Unis, laissant le pays, cette fois bien conquis, à l’administration de ses nouveaux gouverneurs[1]. Un an après, à la date mémorable de février 1848, la guerre du Mexique était terminée, et la Californie définitivement acquise par traité à l’Union ; il y avait alors juste un mois que l’or y avait été découvert.


II

Il est temps d’arriver à San-Francisco, dont nous n’avons encore fait que prononcer le nom[2]. 1,200 âmes en 1849, 60,000 en 1854, telle est en deux mots l’histoire de cette ville, et certes, même aux États-Unis, le pays des développemens merveilleux, une aussi rapide progression a droit de surprendre, car ce n’est point en pareil cas que le temps ne fait rien à l’affaire. Je me souviens que précisément

  1. Cette pluralité de gouverneurs doit être prise au pied de la lettre, et ce ne fut pas le détail le moins singulier de ces événemens. Lorsqu’il s’agit de pourvoir à l’administration du pays conquis, Stockton, Fremont, et un certain général Kearny, dont nous n’avons pas parlé à cause de son rôle effacé, produisirent tous trois des pouvoirs également en règle. Stockton ayant cru devoir, avant son départ, déléguer son autorité à Fremont, il en résulta que la Californie fut, en 1847, gouvernée simultanément, bien que sans le moindre accord, par ce dernier et par le général Kearny. Cette discussion assez extraordinaire eut un grand retentissement aux États-Unis, où elle vint se dénouer devant un conseil de guerre qui condamna à. une peine légère, pour fait d’insubordination, Fremont, alors devenu colonel. Il quitta l’armée plutôt que se soumettre à cette sentence.
  2. L’origine de ce nom est curieuse. En 1769, doux missionnaires franciscains remontaient vers le nord de la Californie, étudiant le pays en vue d’y déterminer l’emplacement de plusieurs missions. Une liste des saints sous l’invocation desquels elles devaient être placées leur avait été remise au départ ; mais le bienheureux saint François, si directement qu’il fût intéressé dans la question, y avait été omis par mégarde, oubli que les révérends pères ne manquèrent pas de signaler avec indignation. « Si saint François veut une mission, répondit le visitador, ou inspecteur, auquel ils s’adressaient, qu’il vous fasse découvrir un bon port. » Les bons ports sont rares sur la côte de Californie, et les pieux voyageurs commençaient à douter du crédit de leur patron, lorsque, s’étant égarés dans leur route, après avoir erré plusieurs jours à l’aventure, le hasard les conduisit sur les bords d’une magnifique baie, s’étendant à perte de vue entre les collines verdoyantes qui la mettaient à l’abri du vent. « Voilà le port, s’écrièrent d’une commune voix les missionnaires ; notre saint fondateur nous y a conduits. » Et la baie fut nommée San-Francisco.