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d’aversion pour les tendances révolutionnaires du Yankee que d’attachement pour cette métropole dont à plusieurs reprises, dans les années précédentes, ils avaient cherché à secouer le joug. Malheureusement pour eux, disséminés comme ils l’étaient sur la vaste étendue de ce territoire, ils ne pouvaient offrir de résistance bien sérieuse, et furent d’abord mis en défaut par la rapidité des mouvemens de Stockton, qui n’attendit pas que la dénonciation des hostilités lui fût officiellement parvenue pour entrer en campagne. Tout prétexte était bon ; par une bizarre interversion de rôles, il imagina d’accuser hautement les Californiens d’avoir violé les lois internationales à l’égard du capitaine Fremont, et se mit en marche à la tête de quelques centaines de matelots sur la ville de Los Angeles, centre du gouvernement de la province. Nulle résistance n’étant organisée, l’autorité des États-Unis fut partout proclamée sans conteste, et les vainqueurs revinrent en triomphe dans la cité naissante de San-Francisco, dont ils avaient au premier coup d’œil deviné la future grandeur. Cependant, revenu de sa surprise, l’ennemi faisait successivement capituler les petites garnisons américaines laissées dans les différentes villes, et reprenait par le fait possession du pays. La conquête était à recommencer, mais auparavant le commodore Stockton fit savoir aux Californiens qu’il ne pouvait cette fois les considérer que comme des rebelles à l’autorité légitime. « Les enfans de la liberté sont en marche, ajoutait-il ; Dieu seul peut les arrêter. » On se dirigea donc de nouveau vers Los Angeles. L’ennemi, monté sur les rapides chevaux du pays, se retira d’abord et n’essaya de tenir qu’à quelque distance de la ville, à l’abri d’un ruisseau, d’où, promptement culbuté, force lui fut de s’enfuir en laissant définitivement la route libre à Stockton. Ce fut là la bataille dite de San-Gabriel, qui coûta aux Américains deux hommes tués et neuf blessés, et leur assura la possession incontestée de cette Californie que le monde entier allait bientôt leur envier.

On apprécierait mal le mérite très réel de la ligne de conduite adoptée par le commodore Stockton, si l’on s’en tenait à la première impression que font naître les nombreux récits de cette conquête publiés aux États-Unis par les acteurs eux-mêmes. Les grandes guerres de la vieille Europe ne sont pas plus pompeusement racontées, et l’on ne peut s’empêcher de sourire en lisant l’ordre du jour qui, après la bataille de San-Gabriel, remercie les soldats d’avoir déployé un courage « rarement égalé, jamais surpassé. » Sans s’arrêter à ces exagérations, beaucoup plus familières qu’on ne le croit à l’esprit positif des Américains, il faut reconnaître que la hardiesse et la promptitude des déterminations du commodore sauvèrent probablement la vie à la plus grande partie des émigrans qui à cette époque débouchaient chaque jour des défilés des Montagnes-Rocheuses ;