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une semblable infériorité. Les chevaux furent aussitôt saisis, et l’on fit savoir à Castro qu’il eût à les venir réclamer lui-même, si bon lui semblait, après quoi l’on marcha sur la petite ville de Sonoma, qui, envahie sans résistance, ne se vit pas sans étonnement devenir le siège du nouveau gouvernement. Chose assez curieuse, ce n’était pas l’annexion aux États-Unis que prétendaient apporter ces audacieux conquérans ; c’était l’indépendance, et sur l’étendard autour duquel ils se ralliaient se dessinait aux regards surpris l’animal dont le nom est resté attaché à ce singulier épisode, connu sous le nom de révolution de l’ours (bear-revolution). De Sonoma naturellement avait été lancée la proclamation d’usage, étrange document historique qui énonçait comme un des principaux griefs du parti de l’indépendance la sécularisation des missions, et attribuait en termes solennels au nouveau gouvernement l’intention d’encourager à l’avenir la vertu et la littérature.

Quelle part le capitaine Fremont, agent officiel des États-Unis, eut-il à cette brusque entrée en matière ? obéissait-il à des instructions secrètes ou à ses propres inspirations ? C’est ce qui n’a jamais été bien éclairci. Il est certain qu’il évita de prendre une part directe au mouvement, et que son nom ne figurait pas au bas de la proclamation ; mais le voile était trop transparent pour tromper qui que ce fût. Sur ces entrefaites du reste, les événemens vinrent à son secours, et le tirèrent à son insu de la périlleuse impasse dans laquelle il s’était engagé. Depuis nombre d’années, le Texas, situé sur la frontière des États-Unis, était un sujet de litige entre cette puissance et le Mexique. Qu’en droit il appartînt au dernier, personne ne le niait ; mais l’Américain disait l’avoir peuplé, non sans raison, et prétendait par suite en être maître de fait. Le congrès de Washington finit par trancher le nœud en prononçant l’annexion ; la guerre s’ensuivit, et fut officiellement déclarée en avril 1846, peu de temps avant que Fremont, qui ignorait ces circonstances, n’eût commencé les hostilités à la tête de ses soixante-deux hommes. Il venait de se faire proclamer gouverneur de la Californie, lorsque lui parvint la nouvelle de la rupture définitive des États-Unis avec le Mexique. D’autres nouvelles ne tardèrent pas à lui apprendre la présence d’une importante division navale sur la côte, et bientôt arriva, pour en prendre le commandement, l’officier qui devait le plus contribuer à la conquête de la Californie, le commodore Stockton.

Un vieux proverbe conseille de ne pas mettre le doigt entre l’arbre et l’écorce ; l’accueil fait aux Américains confirma de tout point cette vérité de la sagesse des nations. Certes les Californiens, pressurés par une administration avide, n’avaient guère lieu d’être bien dévoués au Mexique ; pourtant, vis-à-vis de l’invasion, presque tous vinrent se rallier autour de leurs chefs, et témoignèrent autant